BorderObs

BorderObs est un espace de publication de commentaires et d'observations scientifiques sur l'actualité sociétale. BorderObs est ouvert à tous les membres de l'UniGR-CBS ainsi qu'aux auteurs invités.

Les contributions courtes sont rédigées dans un langage simple, peuvent avoir un caractère d'essai. Elles traitent des frontières, des régions frontalières de la Grande Région et au-delà. Les propositions de contributions peuvent être envoyées en allemand, en français ou en anglais à borderstudies@uni.lu. 

La formation professionnelle transfrontalière franco-allemande – défis actuels liés aux obstacles administratifs (Ines Funk & Florian Weber, Université de la Sarre), 13/03/2024

Texte disponible en allemand.

Ines Funk, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

Florian Weber, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

Réflexions vers une recherche sur les frontières orientée à la complexité (Christian Wille, Université du Luxembourg), 05/02/2024

Depuis le milieu des années 2010, l'idée selon laquelle les frontières sont des phénomènes complexes s'impose de plus en plus dans la recherche sur les frontières (Gerst et al. 2018 ; Scott 2021 ; Wille 2021 ; Brambilla 2023 ; Wille et al. à paraître). On s'attend ainsi à dépasser les idées simplistes des frontières, qui reposent sur la notion de ligne et de fermeture et sur la vision d'une mosaïque territoriale de conteneurs nationaux séparés. Malgré l'émergence du discours sur la complexité, il n'existe guère de travaux expliquant ce que l'on entend exactement par frontières complexes ou par une recherche sur les frontières orientée à la complexité (par exemple : Gerst et al. 2018 ; Brambilla 2023 ; Wille à paraître).


Statu quo

La recherche sur les frontières se caractérise plutôt par une compréhension diffuse de la complexité et une pluralité de ce qui est qualifié de complexe aux frontières. Ainsi, la singularité, la multiplicité, la multidimensionnalité, la multivalence, la relationnalité, l'agonalité ou la diffusion des frontières sont souvent qualifiées de complexes, sans que cette qualification fasse l'objet d'une réflexion plus approfondie. Il semble qu'une compréhension quotidienne de la complexité soit parfois répandue dans le débat, associant hâtivement le terme à la complication ou à un manque de clarté. Le regard aux théories de la complexité montre cependant que les courants progressistes de la recherche sur les frontières sont tout à fait compatibles avec la pensée complexe. Il semble donc intéressant de réfléchir plus précisément à ce que peut être une recherche sur les frontières orientée à la complexité et à ce qu'elle peut apporter.


Idées de base de la pensée complexe

En résumé, la recherche sur la complexité se concentre sur les structures matérielles ou sociales et leurs propriétés émergentes, que les éléments qui les composent développent dans des processus auto-dynamiques (Manson/O'Sullivan 2006, 678 ; Cilliers 2016, 141). L'idée directrice est que le tout – par exemple une frontière – est plus que la somme de ses parties constitutives. Ou formulé de manière analytique : les propriétés des structures complexes ne peuvent pas être expliquées par leurs éléments, mais par l'interaction imprévisible et performative de leurs éléments. C'est pourquoi les notions d'interaction et d'émergence jouent un rôle important dans la recherche sur la complexité : elles indiquent que l'accent est mis sur les relations réciproques des éléments et sur les propriétés des structures qui résultent de leur interaction. Les chercheurs en complexité s'intéressent en premier lieu à la manière dont les éléments impliqués interagissent pour former des modèles ou des ordres qui sont ainsi considérés comme des propriétés des structures.
 

Figure 1 : Ordres émergents comme propriétés de structures complexes (image symbolique), © gremlin.

Ontologie texturale de la frontière

Ces idées de base de la pensée complexe donnent des indications sur la manière dont une recherche sur les frontières orientée à la complexité peut être alignée. Il s'agit notamment de la question élémentaire de savoir comment les frontières peuvent être conceptualisées en tant que structures avec leurs éléments constitutifs. La texturalisation des frontières offre ici des points d'ancrage appropriés. Elle représente l'émergence récente d'approches qui pensent les processus de bordering de manière plus globale : dans la pluralité (exhaustive) des pratiques, des dimensions, des acteurs et des formes pertinentes pour ces processus, ainsi que, en partie, dans l'interaction de ces éléments dans l'espace et le temps. Parmi ces approches, on trouve par exemple l'analyse ethnographique des régimes frontaliers (Transit Migration Forschungsgruppe 2007), borderscapes (Brambilla 2015), bordertextures (Weier et al. 2018) ou l'approche de l'assemblage (Sohn 2016). Elles suivent une ontologie texturale de la frontière et la conçoivent comme un ensemble trans-territorial, trans-scalaire ou trans-temporel, composé d'éléments polymorphes plus ou moins liés entre eux.

 

Vue interne de la frontière

La focalisation des théories de la complexité sur les relations et les ordres qui en découlent est à la fois un atout et un défi pour la recherche sur les frontières : d'une part, l'idée d'ordres émergents peut être rattachée au principe ordonnateur et ordonné de la frontière. Une recherche sur les frontières orientée à la complexité se demande ici comment et quels ordres efficaces comme borderings produisent des structures texturales. D'autre part, cette focalisation exige un décentrement des éléments impliqués dans les processus de bordering ainsi qu'une position d'observation qui se situe dans l'interaction performative des éléments. En effet, l'observation empirique au sein de « l’événement frontière » permet un regard sur l'interaction complexe des éléments et donc sur les émergences auto-dynamiques des b/orderings. Les méthodologies telles que borderness (Green 2012), border as method (Mezzadra/Neilson 2013), migration as a prism (Hess 2018), bordertexturing (Weier et al. 2018) ou la border praxeology (Connor 2023 ; Gerst/Krämer 2017) offrent des points d'ancrage appropriés pour de telles vues internes des frontières.

 

Border Complexities comme perspective

Les réflexions vers une recherche sur les frontières orientée à la complexité sont suivies d'une série d'autres questions concernant la construction de l'objet d’analyse, les méthodes appropriées, la coopération disciplinaire et bien d'autres encore. Pour les traiter et pour ouvrir la discussion, nous proposons un concept qui ne déclare pas les frontières complexes en soi, mais qui offre une perspective sensible à la complexité sur les frontières : Border Complexities est un concept inspiré par la pensée complexe qui (a) considère les frontières comme des structures relationnelles, (b) se concentre sur l'interaction auto-dynamique et imprévisible de leurs composants et (c) sur leurs dés-ordres émergents qui agissent comme des borderings. Border Complexities fait ainsi le lien avec l'ontologie texturale de la frontière, adopte une vue interne de la frontière et va plus loin dans l'analyse que chercher à savoir quelles dimensions jouent un rôle dans les processus de bordering ou dans quelle mesure les éléments impliqués sont répartis territorialement, en fonction des acteurs et de manière scalaire. En effet, les processus de bordering regardés par la loupe de complexité ne peuvent pas être expliqués – comme c'est le cas dans la recherche actuelle sur les frontières – par la pluralité ou le polymorphisme des éléments impliqués et leur répartition spatiale. Border Complexities s'adresse plutôt au moment d’émergence qui se manifeste là où la texture des éléments impliqués dans les borderings n'est qu'une condition pour rendre visibles et analysables leurs relations réciproques – en tant qu'interaction efficace pour les dés-ordres émergents. Border Complexities suit donc l’idée de complexus (lat.) d'une double manière : D'une part, le concept s'adresse à "ce qui est tissé ensemble" (Morin 2007, 6), d'autre part, il s'adresse aux relations des éléments impliqués et aux b/orderings qui en découlent.
 

Remarque : Cet article de blog est basé sur l’ouvrage à paraître : Wille, Christian/Leutloff-Grandits, Carolin/Bretschneider, Falk/Grimm-Hamen, Sylvie/Wagner, Hedwig (à paraître) (éds.) : Border Complexities and Logics of Dis/Order. Baden-Baden : Nomos. doi : 10.5771/9783748922292. Premier aperçu (en anglais)


Christian Wille, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg
 

Références

Brambilla, Chiara. 2023. Rethinking Borders Through a Complexity Lens: Complex Textures Towards a Politics of Hope. Journal of Borderlands Studies, online first: 1–20.  doi:10.1080/08865655.2023.2289112.

Brambilla, Chiara. 2015. Exploring the Critical Potential of the Borderscapes Concept. Geopolitics 20, no. 1: 14–34. doi:10.1080/14650045.2014.884561.

Cilliers, Paul. 2016. Complexity, deconstruction and relativism. Critical Complexity. Collected Essays, ed. Preiser, Rika, 139–152, Berlin/Boston: De Gruyter.

Connor, Ulla. 2023. Territoriale Grenzen als Praxis. Zur Erfindung der Grenzregion in grenzüberschreitender Kartografie, Baden-Baden: Nomos.

Gerst, Dominik, Maria Klessmann, Hannes Krämer, Mitja Sienknecht and, Peter Ulrich. 2018. Komplexe Grenzen. Aktuelle Perspektiven der Grenzforschung. Berliner Debatte Initial 29, no. 1: 3–11.

Gerst, Dominik and, Hannes Krämer. 2017. Methodologische Prinzipien einer allgemeinen Grenzsoziologie. Geschlossene Gesellschaften. Verhandlungen des 38. Kongresses der Deutschen Gesellschaft für Soziologie in Bamberg 2016, ed. Lessenich, Stephan, 1–10, online: https://publikationen.soziologie.de/index.php/kongressband_2016 (15/03/2023).

Green, Sarah. 2012. A Sense of Border. A Companion to Border Studies, eds. Wilson, Thomas M., and Hastings, 573–592. Malden: Wiley-Blackwell.

Hess, Sabine. 2018. Border as Conflict Zone. Critical Approaches on the Border and Migration Nexus. Migration. Changing Concepts, Critical Approaches, ed. Bachmann-Medick, Doris and, Jens Kugele, 83–99, Berlin/Boston: de Gruyter.

Manson, Steven and, David O’Sullivan. 2006. Complexity theory in the study of space and place. Environment and Planning A 38: 677–692. doi:10.1068/a37100.

Mezzadra, Sandro and, Brett Neilson. 2013. Border as Method, or, the Multiplication of Labor. Durham/London: Duke University Press.

Morin, Edgar. 2007. Restricted complexity, general complexity. Worldviews, Sciences and Us – Philosophy and Complexity, eds. Gershenson, Carlos, Diederik Aerts and, Bruce Edminds, 5–29. Singapore: World Scientific Publishing.

Scott, James. 2021. Bordering, ordering and everyday cognitive geographies. Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie 112, no. 1, 26–33. doi:10.1111/tesg.12464.

Sohn, Christophe. 2016. Navigating borders’ multiplicity: the critical potential of assemblage. Area 48, no. 2: 183–189.

Transit Migration Forschungsgruppe. 2007. Turbulente Ränder. Neue Perspektiven auf Migration an den Grenzen Europas, Bielefeld: transcript.

Weier, Sebastian, Astrid M. Fellner, Joachim Frenk, Daniel Kazmaier, Eva Michely, Christoph Vatter, Romana Weiershausen and, Christian Wille. 2018. Bordertexturen als transdisziplinärer Ansatz zur Untersuchung von Grenzen. Ein Werkstattbericht. Berliner Debatte Initial 29, no. 1: 73–83.

Wille, Christian. forthcoming. Border Complexities. Outlines and Perspectives of a Complexity Shift in Border Studies. Border Complexities and Logics of Dis/Order, eds. Wille, Christian, Carolin Leutloff-Grandits, Falk Bretschneider, Sylvie Grimm-Hamen and, Hedwig Wagner, Baden-Baden: Nomos.

Wille, Christian. 2021. Vom processual shift zum complexity shift: aktuelle analytische Trends der Grenzforschung. Handbuch für Wissenschaft und Studium, eds. Gerst, Dominik, Maria Klessmann, and Hannes Krämer, 106–120. Baden-Baden: Nomos. doi:10.5771/9783845295305-106.

Wille, Christian, Carolin Grandits-Leutloff, Falk Bretschneider, Sylvie Grimm-Hamen and, Hedwig Wagner. forthcoming. Border Complexities and Logics of Dis/Order, Baden-Baden: Nomos. doi:10.5771/9783748922292.

Opportunités et frustrations d’un régime de frontière fermée entre le Tadjikistan et l’Afghanistan dans le Badakhchan : un retour à l’isolement ? (Mélanie Sadozaï, George Washington University), 16/08/2023

Texte disponible en anglais.

Mélanie Sadozaï, George Washington University (USA), Woodrow Wilson Center (USA), National Institute for Oriental Languages and Civilizations (France)

Cultural Border Studies – L’institutionnalisation d’un champ de recherche en plein essor (Christian Wille, Université du Luxembourg), 28/06/2023

Les Cultural Border Studies s'intéressent aux dimensions sociales et symboliques des frontières. Elles sont nées de l'intersection du Cultural Turn des Border Studies et du Border Turn des Cultural Studies et abordent des questions au niveau de la culture quotidienne et de l'esthétique. Dans le contexte de la réémergence des frontières, les Cultural Border Studies ont encore gagné en importance, ce qui se reflète dans leur institutionnalisation progressive.

 

Sociétés scientifiques

La principale société scientifique dans les Border Studies est l'Association for Borderlands Studies, fondée en 1976 aux États-Unis, qui rassemblait à l'origine des chercheurs travaillant sur la frontière américano-mexicaine. Au fur et à mesure du développement des Border Studies, des chercheurs de toutes les régions du monde ont rejoint cette société. Aujourd'hui, l'Association for Borderlands Studies organise régulièrement un colloque annuel en Amérique du Nord et une conférence mondiale qui a lieu tous les quatre ans. La conférence mondiale de 2023 a été organisée par l'Université Ben-Gourion à Eilat, au carrefour des trois pays Israël – Jordanie – Égypte. Les colloques annuels et les conférences mondiales de la société mentionnent de plus en plus dans leurs programmes des communications et des panels issues des études culturelles et se sont établis comme des plateformes centrales pour la communauté mondiale des chercheurs sur les frontières.
 

 

Illustration 1 : Chercheurs sur les frontières de l'UniGR-CBS à la conférence mondiale 2023 de l'Association for Borderlands Studies à Eilat (Israël).

 


Illustration 2 : Section « Kulturwissenschaftliche Border Studies » lors du colloque annuel 2018 de la Kulturwissenschaftliche Gesellschaft e.V. à Hildesheim (Allemagne), photo : UniGR-CBS 2018.


Contrairement à l'Association for Borderlands Studies, la Kulturwissenschaftliche Gesellschaft e.V., qui joue un rôle important pour les Cultural Border Studies en tant que société scientifique dans le monde germanophone, est organisée en sections. Celles-ci représentent des groupes de travail thématiques, dont la section « Kulturwissenschaftliche Border Studies », qui existe depuis 2016. Elle a été fondée à l'initiative de chercheurs sur les frontières de l'Université du Luxembourg, de l'Université de la Sarre et de l'Université européenne Viadrina de Francfort (Oder) dans le but de développer les questions et les approches des études culturelles au sein des Border Studies et de les établir comme champ de recherche. Les membres de la section se rencontrent régulièrement, coopèrent dans des projets de recherche et de publication et participent aux colloques annuels de la Kulturwissenschaftliche Gesellschaft e.V.. En 2020, le colloque annuel « B/Ordering Cultures : Alltag, Politik, Ästhetik » (du 8 au 10 octobre) à l'Université européenne Viadrina de Francfort (Oder) a été organisé en coopération avec la section.

 

Centres et réseaux de recherche

En ce qui concerne les centres et réseaux de recherche en études sur les frontières, les premières fondations ont eu lieu dans le contexte américano-mexicain (par ex. Center for Latin American and Border Studies (1979), Colegio de la Frontera Norte (1982)), suivies par des centres en Europe dans les années 1990 (par ex. Centre for Border Research (1989), Nijmengen Center for Border Research (1998)). A partir du tournant du millénaire, on observe de plus en plus de centres, surtout en Europe (p. ex. Institut des Frontières et Discontinuités (2006), Centre for Border Region Studies (2016)), accompagnées de diverses orientations géographiques (p. ex. African Borderlands Research Network (2007), Asian Borderlands Research Network (2008), VERA Centre for Russian and Border Studies (2011)).

Dans le monde germanophone, deux centres de recherche se distinguent par leur orientation résolument en études culturelles. Il s'agit notamment du Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION, qui a été créé en 2013 à l'Université européenne Viadrina de Francfort (Oder). Les chercheurs de cette université et d'autres universités y étudient les processus de frontiérisation, d’ordering et de migration dans un cadre interdisciplinaire. Ils ont récemment organisé les colloques « Contesting 21st Century B/Orders » (6 au 8 septembre 2023) et « B/ORDERS IN MOTION : Current Challenges and Future Perspectives » (15 au 17 novembre 2018).

 
 

Le centre d’expertise interdisciplinaire UniGR-CBS se présente. Vidéo promotionnelle UniGR-CBS 2022.
 


Illustration 4 : Ouverture du colloque « B/ORDERS IN MOTION: Current Challenges and Future Perspectives », Université européenne Viadrina de Francfort (Oder). Photo : Lisa Melcher 2018.



Il faut également mentionner l’UniGR-Center for Border Studies (UniGR-CBS), fondé en 2014 en tant que réseau de recherche transfrontalier et transformé en 2022 en un centre d’expertise interdisciplinaire de l’UniGR. Il regroupe les chercheurs en recherche sur les frontières de l'Université de la Grande Région (UniGR), c'est-à-dire de l'Université de la Sarre, de l'Université de Trèves, de l'Université technique de Rhénanie-Palatinat Kaiserslautern-Landau (Allemagne), de l'Université de Lorraine (France), de l'Université du Luxembourg (Luxembourg) et de l'Université de Liège (Belgique). Ses domaines de travail vont des Cross-Border Studies (par ex. marché du travail et aménagement du territoire dans les régions frontalières) aux Cultural Border Studies (par ex. culture, langue, identités) en passant par les questions théoriques et conceptuelles de la recherche sur les frontières.

 
 

Illustration 5 : Cycle de conférences « Atelier Bordertextures » avec le chercheur sur les frontières Johan Schimanski. Photo : UniGR-CBS 2018.

 


Illustration 6 : Colloque UniGR-CBS « Border Renaissance. Recent Developments in Territorial, Cultural and Linguistic Border Studies » (février 2022). Vidéo de documentation UniGR-CBS 2022.

 

Les chercheurs de l’UniGR-Center for Border Studies, orientés vers les études culturelles, sont organisés dans le groupe de travail « Bordertextures » et pratiquent une approche qui conçoit les frontières comme des textures dynamiques et performatives. Dernièrement, l’UniGR-Center for Border Studies a organisé le colloque international « Border Renaissance. Recent Developments in Territorial, Cultural and Linguistic Border Studies » (4 au 5 février 2022) et la conférence européenne de l'Association for Borderlands Studies « Differences and Discontinuities in a 'Europe without Borders' » (04 au 7 octobre 2016).

 

Médias de publication

Le Journal of Borderlands Studies, créé en 1986 aux Etats-Unis, est considéré comme la revue scientifique pertinente en Border Studies. Après avoir publié principalement les résultats des Geopolitical Border Studies, la revue s'est aujourd'hui ouverte aux questions et aux approches des études culturelles. Parallèlement, il existe depuis 2019 la revue scientifique en accès libre Borders in Globalization Review, créée à l'Université de Victoria, en Colombie-Britannique, dans le cadre du programme de recherche « Borders in Globalization » et qui s'adresse à la recherche sur les frontières dans le domaine des études artistiques, culturelles et sociales.

En outre, différentes collections de livres se sont établies, qui dépassent les considérations géopolitiques au profit des perspectives culturelles. Parmi elles, la série Routledge Borderlands Studies (éditée par James W. Scott et Ilkka Liikanen), qui publie des travaux sur les interdépendances transfrontalières, les cultures quotidiennes, etc. dans les régions frontalières d'Amérique du Nord et d'Europe, mais aussi d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. La série Rethinking Borders (éditée par Sarah Green et Hastings Donnan) a été créée dans le cadre du projet « EastBordNet - Remaking Borders in Eastern Europe (COST 2009-2013) » et est aujourd'hui publiée par les Presses universitaires de Manchester. Elle offre une plateforme pour la recherche, de préférence ethnographique, qui s'intéresse à l'expérience quotidienne des frontières et des mobilités.
 

 
   


Illustration 7 : Le Journal of Borderlands Studies et les manuels de recherche sur les frontières avec des références aux études culturelles. Photo : UniGR-CBS 2023.

 


Illustration 8 : La série de livres « Border Studies. Cultures, Spaces, Orders » (éditions Nomos) avec l’accent sur les études culturelles. Photo : UniGR-CBS 2022.

 

Dans les pays germanophones, la série de livres Border Studies. Cultures, Spaces, Orders (éditée par Astrid M. Fellner, Konstanze Jungbluth, Hannes Krämer, Christian Wille) s'est établie comme forum pour les Cultural Border Studies. Elle paraît en allemand ou en anglais aux éditions Nomos et comprend des analyses issues des études culturelles des frontières dans une perspective littéraire et linguistique, sociologique ou socio-anthropologique.

Malgré le fait que les Border Studies, en tant que champ de recherche interdisciplinaire, ne présentent pas de canon clairement établi de théories et d'approches, différents manuels de recherche ont été publiés. Parmi eux, The Ashgate Research Companion to Border Studies (Wastl-Walter 2011) ou Introduction to Border Studies (Sevastianov et al. 2015), qui s'adressent avant tout aux Geopolitical Border Studies. Les études culturelles sont plutôt prises en compte dans A Companion to Border Studies (Wilson et Donnan 2012) ou A Research Agenda for Border Studies (Scott 2020), qui incluent respectivement les dimensions quotidiennes des frontières. Avec le manuel Grenzforschung. Handbuch für Wissenschaft und Studium (Gerst et al. 2021), l'introduction la plus récente publiée dans le monde germanophone met l'accent sur les études culturelles.
 

Texte disponible en anglais et allemand

Christian Wille, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg

Planning Borderlands : Approches d'analyse du développement territorial dans les régions frontalières et premiers enseignements tirés de la région frontalière entre le Brandebourg et la Pologne (Kirsten Mangels, Nino Pfundstein, Karina Pallagst, Benjamin Blaser (Rheinland-Pfälzische Technische Universität Kaiserslautern-Landau)), 08/05/2023

Texte disponible en anglais.

Benjamin Blaser, Rheinland-Pfälzische Technische Universität Kaiserslautern-Landau

Kirsten Mangels, UniGR-Center for Border Studies, Rheinland-Pfälzische Technische Universität Kaiserslautern-Landau

Karina Pallagst, UniGR-Center for Border Studies, Rheinland-Pfälzische Technische Universität Kaiserslautern-Landau

Nino Pfundstein, Rheinland-Pfälzische Technische Universität Kaiserslautern-Landau

Communicative Borderlands : L'exemple de la formation professionnelle (Konstanze Jungbluth, Galyna Orlova, Nicole Richter, Dagna Zinkhahn Rhobodes (Université européenne Viadrina), Leonie Micka, Claudia Polzin-Haumann (Université de la Sarre)), 27/04/2023

Texte disponible en anglais.

Konstanze Jungbluth, Université européenne Viadrina, Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION

Leonie Micka, Université de la Sarre, UniGR-Center for Border Studies

Galyna Orlova, Université européenne Viadrina, Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION

Claudia Polzin-Haumann, Université de la Sarre, UniGR-Center for Border Studies

Nicole Richter, Université européenne Viadrina, Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION

Dagna Zinkhahn Rhobodes, Université européenne Viadrina, Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION

Hybrid Borderlands : Bordertexturing Films (Tobias Schank, Université de la Sarre), 20/04/2023

Texte disponible en anglais.

Tobias Schank, Université de la Sarre, UniGR-Center for Border Studies

Energy Borderlands : Exemples de zones interconnectées le long des frontières allemandes (Kamil Bembnista, Ludger Gailing, (Université technique de Brandebourg Cottbus-Senftenberg), Alexandra Lampke, Florian Weber (Université de la Sarre)) 13/04/2023

Texte disponible en anglais.

Kamil Bembnista, Université technique de Brandebourg Cottbus-Senftenberg

Alexandra Lampke, Université de la Sarre, UniGR-Center for Border Studies

Ludger Gailing, Université technique de Brandebourg Cottbus-Senftenberg

Florian Weber, Université de la Sarre, UniGR-Center for Border Studies

Policy Borderlands : Perspectives des sciences politiques sur les frontières et la coopération transfrontalière (Stefanie Thurm, Julia Wagner (Université de la Sarre) Peter Ulrich, (Université de Potsdam)) 06/04/2023

Texte disponible en anglais.

Stefanie Thurm, Université de la Sarre

Peter Ulrich, Université de Potsdam, Viadrina Center B/ORDERS IN MOTION

Julia Wagner, Université de la Sarre

Frontières dans la ville, Urban Borderlands le long du canal de l'Ourcq à Paris (Corinna Jürgens, Université de la Sarre) 16/03/2023

Texte disponible en allemand et anglais

Corinna Jürgens, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

Approches à la frontière entre diffusion et fortification (Christian Wille, Université du Luxembourg), 02/01/2023

Texte disponible en allemand et anglais

Christian Wille, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg

Tirer les leçons de la crise de Corona ? Région frontalière germano-polonaise – 30 ans après la signature du traité de voisinage (Elżbieta Opiłowska, Université de Wrocław), 19/08/2021

Texte disponible en allemand

Elżbieta Opiłowska, UniGR-Center for Border Studies, Université de Wrocław

Expériences transfrontalières – État des lieux intermédiaire de l’espace fonctionnel SaarLorLux au temps de la pandémie de COVID-19 (Florian Weber, Université de la Sarre), 22/07/2021

Dès le printemps 2020, la pandémie de COVID-19 a bouleversé nos habitudes et ébranlé des certitudes jusqu’alors bien ancrées. Mais qui aurait pu s’imaginer alors que le fait de suivre au jour le jour le nombre des nouveaux cas de COVID-19 au niveau mondial, régional et local ainsi que le nombre de nouveaux décès deviendrait un jour une habitude « normale ». L’attente fiévreuse de progrès dans le développement des divers vaccins a également constitué un phénomène nouveau. Et qui aurait alors pu dire sans hésiter quel vaccin de quelle entreprise pharmaceutique offrait une protection contre la grippe ou d’autres maladies, alors que maintenant nous soupesons les avantages et les inconvénients des vaccins à vecteur viral contre ceux des vaccins à ARN messager d’AstraZeneca, de BioNTec-Pfizer ou de Moderna ? Les masques, d’abord en tissu, puis chirurgicaux ou FFP2, relèvent aussi de cette nouvelle normalité. Après pratiquement un an et demi de pandémie, avec plusieurs vagues, ce qui était inhabituel voire extraordinaire est devenu un élément constitutif de notre vie quotidienne.

Des projets de recherche menés sous l’angle de différents complexes (inter)disciplinaires ont été entamés ou sont en cours de préparation. À un stade très précoce de la première vague de coronavirus, le blog BorderObs de l’UniGR-Center for Border Studies a été mis en place afin de donner un éclairage sur ce qui était presqu’inimaginable pour beaucoup de chercheurs dans le domaine des Border Studies : des contrôles renforcés aux frontières, des fermetures de frontières à l’échelle mondiale et même au sein de l’Union européenne (compilation de Wille et Kanesu, 2020 ; voir à titre d’exemple quasiment « surréaliste » l’illustration en figure 1). Ironie de l’histoire, c’est justement 35 ans après la signature des Accords de Schengen que les frontières nationales ont été remises à l’honneur pour assurer la protection sanitaire des populations et que l’idée (ou peut-être plutôt l’utopie) d’une « Europe sans frontières » a été compromise (Opiłowska, 2021). Globalement, la stratégie que l’on a pu observer au printemps 2020 revenait à « densifier les frontières existantes » (Cyrus et Ulrich, 2021, p. 26). Ce « réflexe national » a peut-être constitué un avertissement lancé à ceux qui se berçaient de certitudes inébranlables : en effet, pouvoir circuler librement dans l’Union européenne n’est pas une chose si évidente qu’il est exclu de la remettre en cause et jusqu’à présent, le principe de la libre circulation des personnes s’inscrit dans le cadre conceptuel des frontières (Wassenberg, 2020, p. 115). Environ 1,9 million de frontaliers (2018) de l’espace Schengen sont tributaires au quotidien de cette liberté de circulation des personnes (Meninno et Wolff, 2020, s.p.). Les événements liés à la pandémie exigent que les Border Studies se dotent d’un nouveau grand champ d’études, axé sur les frontières intra-européennes et fondé sur de nouveaux questionnements et centres d’intérêt, comme l’a récemment précisé Christian Wille dans sa contribution au BorderObs du 20 juin 2021. Comme lui, je suis encore « hanté » par les événements survenus dans les régions frontalières.
 

Figure 1 : Un point de passage de la frontière barricadé (en termes administratifs, un point de passage « non notifié ») entre Merzig (Sarre) et Waldwisse (Moselle) au printemps 2020. Source : Photographie de Brigitte Weber, 2020.


La césure de mi-mars 2020 à la frontière et ses conséquences

En 2020 et en 2021, j’ai pu mener de nombreux entretiens et échanges écrits avec divers élus des différents échelons territoriaux, avec des personnes travaillant dans des administrations ainsi qu’avec des acteurs de la santé, de la culture, des médias et de la science. Il en est presque toujours ressorti que la mi-mars avait été ressentie comme une « fêlure » de l’idée européenne, voire (sachant que je m’étais concentré sur la région frontalière franco-germano-luxembourgeoise) un échec pour les relations transfrontalières. Le 8 juillet 2021, lors d’une table ronde, le député français Christophe Arend a observé que de nombreuses personnes avaient vécu les contrôles renforcés aux frontières comme une fermeture de celles-ci. Les « frontières mentales » étaient et sont revenues à l’ordre du jour (Wassenberg, 2020, p. 119). Medeiros et al. (2021) ont dégagé depuis les effets des actions liées aux frontières à partir d’exemples européens et ont qualifiées ces dernières de « covidfencing ». Cette formule illustre très bien l’impression de « verrouillage » alors ressentie. En tant que chercheur en Border Studies, j’estime cependant qu’il est nécessaire d’aborder de manière plus différenciée les formes et les effets de la frontiérisation observée. Il est important de tenir compte de diverses échelles territoriales et de leurs interdépendances – des actions au niveau de l’Europe à celles des États nationaux et même jusqu’aux conséquences pour les individus désorientés au milieu de la « jungle » des différents règlements et dispositifs.

Si elle a fait ressortir les zones d’ombre de la vie aux frontières, comme par exemple la remontée à la surface de vieux ressentiments que l’on croyait oubliés, la crise de la COVID-19 a montré de manière frappante à quel point les espaces frontaliers sont déjà synonymes d’espaces fonctionnels, de zones de contact ou de borderlands (Crossey, 2020; Crossey et Weber, 2020; Wille et Weber, 2020). Ceci ressort de manière éclatante dans la Grande Région avec son « espace central » SaarLorLux : quelque 250.000 frontaliers y pratiquent quotidiennement l’échange transfrontalier, la mobilité résidentielle transfrontalière y est devenue normale et même la formation professionnelle transfrontalière y prend de l’importance (Pigeron-Piroth et al., 2021). Lorsqu’au printemps 2020, l’Allemagne a fermé les passages d’importance secondaire sur ses frontières avec la France et le Luxembourg et que les flux de circulation se sont concentrés sur les postes importants comme celui de la Brême d’Or par exemple, les longues files de voitures aux frontières ont fourni la preuve de la normalité du fait transfrontalier autant que l’impraticabilité des contrôles. Avant la crise sanitaire, on connaissait déjà l’effet d’aspiration exercé par le Luxembourg en termes d’emplois. Mais pour le grand public, elle a mis un coup de projecteur sur les quelque 15.000 frontaliers qui se rendent en Sarre chaque jour et qui y jouent un rôle décisif, entre autres dans le secteur de la santé (cf. figure 2). Les manifestations de solidarité et les protestations de masse, qui peuvent être interprétées du point de vue conceptionnel en tant que pratiques de « deborderization » (cf. Wille 2021), ont montré que l’espace de vie commun, le « bassin de vie », est considéré comme un acquis et qu’il est défendu en tant que tel. La rencontre des ministres des Affaires étrangères Jean Asselborn (Luxembourg) et Heiko Maas (Allemagne) du 16 mai 2020 sur le pont de Schengen peut être vue comme une mise en garde symbolique : les liens qui se sont tissés au fil du temps ne doivent pas être coupés à la légère. La ministre sarroise de l’Économie a mis concrètement « la main à la pâte » lorsqu’il s’est agi d’enlever les barricades aux frontières. Le SaarLorLux-Trend de la radio-télévision sarroise, avec des enquêtes d’opinion menées en Sarre, en Moselle et au Luxembourg en novembre et décembre 2020, a montré que certains habitants estimaient que les relations de bon voisinage étaient fortement affectées (SR, 2020) et qu’il semblait opportun d’agir avec discernement et doigté afin de « rafistoler » les relations transfrontalières.

 

Fig. 2 : Les frontaliers en Grande Région (2019). Source : IBA | OIE
 

Les leçons tirées de la première vague

En mars 2021, lorsque la Moselle a été classée « zone à variant » par l’Allemagne, la question des leçons tirées du printemps 2020 s’est posée. L’obligation faite aux frontaliers de présenter un test antigénique toutes les 48 heures a indubitablement constitué un défi logistique majeur. La grogne des frontaliers était sensible et s’est exprimée à l’occasion de diverses manifestations. Les décideurs ont été informés à l’avance des mesures envisagées. Un centre de test franco-allemand a été mis en place à la Brême d’Or, à la frontière française près de Sarrebruck. Au lieu des contrôles à la frontière, les autorités ont opté pour des contrôles aléatoires à plus vaste échelle et à une certaine distance des frontières. L’échange transfrontalier formel et informel avait progressé d’un coup et ce progrès était surtout le fruit de l’expérience de la première vague.

Dans un livre qui a pour principale thématique les relations franco-allemandes (Weber et al., 2021), que j’ai co-édité avec Roland Theis et Karl Terrollion durant l’été 2021 pour dresser un bilan intermédiaire, le lecteur pourra se faire une idée bien plus précise des événements qui n’ont pu être abordés que superficiellement ici. Nous y avons associé des articles de réflexion et des entretiens avec des élus de tous les niveaux (du national au local) dans l’espace fonctionnel Sarre-Moselle, avec des représentants d’initiatives transfrontalières, des milieux économiques, de la culture, des médias et des milieux scientifiques. Le tableau qui ressort de cette bonne trentaine d’articles est loin d’être en noir et blanc : il s’agit d’une mosaïque composée d’éléments très divers qui se conjuguent pour fournir une idée générale de l’expérience des frontières pendant la pandémie. Le point commun de tous les auteurs et des personnes interviewées, c’est l’impression que l’échange transfrontalier et l’idée-force européenne de l’ouverture des frontières intérieures ne doivent pas être mis en jeu à la légère et que la crise a montré clairement que l’avenir passait par une action concertée et commune.

Dans la perspective de la recherche sur les espaces frontaliers et sur la gouvernance multi-niveaux, mon intérêt s’est porté sur la systématisation des récits frontaliers locaux et régionaux et sur l’action politique et pratique à l’avenir, en lien avec la question de savoir à quel point les ambitions et les objectifs formulés entre-temps déboucheront sur des formes institutionnalisées de coopération transfrontalière. Sans vouloir relativiser l’importance des frontières extérieures de l’Union ni les discussions sur la protection de ses frontières, il me semble que dans ce contexte radicalement bouleversé par la pandémie, les frontières intérieures constituent un sujet de recherche gratifiant et utile pour dégager des connaissances et conclusions fondamentales sur l’avenir de l’Union européenne et de l’espace Schengen.
 

Florian Weber, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

 

Références

Crossey, N. (2020) ‘Corona – neue Herausforderungen und Perspektiven für Grenzraumpolitiken und grenzüberschreitende Governance’, in Wille, C. et Kanesu, R. (éd.), Bordering in Pandemic Times: Insights into the COVID-19 Lockdown. Borders in Perspective 4, UniGR-Center for Border Studies, Luxemburg, Trier,p. 69–72.

Crossey, N. et Weber, F. (2020) ‘Zur Konstitution multipler Borderlands im Zuge der Frankreichstrategie des Saarlandes’, in Weber, F. et al. (Hg.), Geographien der Grenzen. Räume – Ordnungen – Verflechtungen, Springer VS, Wiesbaden, p. 145–166.

Cyrus, N. et Ulrich, P. (2021) ‘Verflechtungssensible Maßnahmenräume: Lehren aus dem Umgang mit der COVID-19-Pandemie in der Doppelstadt Frankfurt (Oder) und Słubice’, Informationen zur Raumentwicklung, Vol. 26, No. 2, p. 24–33.

Medeiros, E., Guillermo Ramírez, M., Ocskay, G. et Peyrony, J. (2021) ‘Covidfencing effects on cross-border deterritorialism: the case of Europe’, European Planning Studies, Vol. 29, No. 5, p. 962–982.

Meninno, R. et Wolff, G. (2020) ‘As the Coronavirus spreads, can the EU afford to close its borders?: VoxEU.org – CEPR’s policy portal’. https://voxeu.org/content/coronavirus-spreads-can-eu-afford-close-its-borders (10 mai 2021).

Opiłowska, E. (2021) ‘The Covid-19 crisis: the end of a borderless Europe?’, European Societies, Vol. 23, sup1, p. 589-S600.

Pigeron-Piroth, I., Funk, I., Nienaber, B., Dörrenbächer, H.P. et Belkacem, R. (2021) ‘Der grenzüberschreitende Arbeitsmarkt der Großregion: Der Einfluss der COVID-19-Pandemie’, Informationen zur Raumentwicklung, Vol. 26, No. 2, p. 74–85.

SR (2020) ‘Unterschiedliche Bewertung der Grenzschließungen’. https://www.sr.de/sr/home/nachrichten/politik_wirtschaft/saarlandtrend/saarlandtrend_2020/saarlorluxtrend_2020_grenzschliessungen_100.html (8 juillet 2021).

Wassenberg, B. (2020) ‘“Return of Mental Borders”: A Diary of COVID-19 Closures between Kehl, Germany, and Strasbourg, France’, Borders in Globalization Review, Vol. 2, No. 1, p. 114–120.

Weber, F., Theis, R. et Terrolion, K. (éd.), (2021) Grenzerfahrungen | Expériences transfrontalières. COVID-19 und die deutsch-französischen Beziehungen | Les relations franco-allemandes à l‘heure de la COVID-19, 2021, Springer VS, Wiesbaden, DOI: 10.1007/978-3-658-33318-8

Wille, C. (2021), European Border Region Studies in Times of Borderization, BorderObs (20/06/2021), online (8 juillet 2021).

Wille, C. et Kanesu, R. (éd.), (2020) Bordering in Pandemic Times: Insights into the COVID-19 Lockdown. Borders in Perspective 4, UniGR-Center for Border Studies, Luxemburg, Trier.

Wille, C. et Weber, F. (2020) ‘Analyzing border geographies in times of COVID-19’, in Mein, G. et Pause, J. (Hg.), Self and Society in the Corona Crisis. Perspectives from the Humanities and Social Sciences, Melusina Press, Esch-sur-Alzette, online, DOI: 10.26298/phs9-t618.

Etudes des frontières européennes en temps de frontiérisation (Christian Wille, Université du Luxembourg), 20/06/2021

Texte disponible en anglais

Christian Wille, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg

« What’s Home Gotta Do With It? » Réflexions quant au « rester chez soi », la frontiérisation et la distanciation sociale en temps de Covid-19 (Astrid M. Fellner, Université de la Sarre), 11/06/2020

Texte disponible en anglais

Astrid M. Fellner, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

Travail frontalier et fermeture des frontières : l’exemple de la Grande Région SaarLorLux (Isabelle Pigeron-Piroth et Estelle Evrard (Université du Luxembourg), Rachid Belkacem (Université de Lorraine)), 08/06/2020

La crise sanitaire provoquée par la pandémie de COVID-19 a imposé d’importantes adaptations au marché du travail transfrontalier dans la Grande Région SaarLorLux. Les mesures prises pour éviter la propagation de la maladie imposent de limiter les déplacements au strict minimum tandis que l’efficience des services de santé publics impose la proximité. Ces mesures, qui se sont rapidement imposées aux acteurs publics, aux entreprises et aux individus, questionnent directement le fonctionnement d’un marché du travail transfrontalier structuré par la mobilité transfrontalière. Afin de maintenir tant que possible les activités économiques et de pourvoir aux besoins sanitaires, les exécutifs nationaux ont adapté les fonctions de la frontière.

Pour les régions transfrontalières comme la Grande Région SaarLorLux, les conséquences de cette crise sanitaire sont particulièrement importantes. Elle se caractérise en effet par l’importance des flux de personnes, d’activité et de travailleurs frontaliers qui s’y développent. Avec le confinement des populations et la fermeture partielle ou totale des frontières, ce sont les déterminants fondamentaux du marché du travail transfrontalier qui sont directement perturbés. Tantôt réinstaurées (par le biais des contrôles douaniers), tantôt affranchies, les frontières jouent un rôle crucial dans cette crise sanitaire. 
 

La frontière : un filtre laissant passer les travailleurs frontaliers

L’espace de libre circulation des personnes, des travailleurs, des capitaux, fondement de la construction européenne depuis le Traité de Rome et effectivement facilité par la disparition des contrôles aux frontières avec l’Accord de Schengen, a été profondément mis à mal lors de cette crise sanitaire.

L’Allemagne a pris la décision de fermer dès le lundi 16 mars ses frontières avec ses voisins. La rigueur des contrôles aux frontières du pays a conduit à d’importants refoulements de personnes à la frontière. Rien qu’entre le 16 mars et le 5 avril, un effectif de 170 000 personnes se serait vu empêché d’accéder au territoire allemand. « La protection de la santé sera toujours prioritaire dans la vie publique » c’est en ces termes qu’Angela Merkel justifiait cette sévérité (Gouvernement Fédéral). Pour parvenir à leur lieu de travail en Sarre, les travailleurs frontaliers de France étaient obligés de faire de longs détours en voiture.

 

Image 1 : Réintroduction des contrôles aux frontières dans l’espace Schengen au 25 mars 2020. Source : Mission Opérationnelle Transfrontalière
 

La perméabilité de la frontière est assurée pour les travailleurs frontaliers à condition de justifier leur déplacement pour raisons professionnelles et de disposer à cet effet d’une attestation de leur employeur (avec adresses respectives des lieux de travail et de résidence ainsi que les dates et horaires de déplacement). Pour les travailleurs se rendant en France, en plus de cette attestation, ces derniers doivent disposer d’une attestation de déplacement internationale dérogatoire vers la France métropolitaine.

 

Image 2 : L'attestation d'être travailleur frontalier (ici le formulaire de la police fédérale allemande) peut être collée sur le pare-brise de la voiture pour accélérer le contrôle lors du passage de la frontière. Source : https://gouvernement.lu

Ces mesures de contrôle redonnent à la frontière un rôle de filtre qu’elle avait perdu depuis longtemps, mais qui se réactive en cas de crise majeure (comme on a pu le voir par le passé lors de la crise des migrants ou encore de celle des attaques terroristes). Ici, ce filtre ne conserve que les flux frontaliers de travail, nécessaires à l’activité économique des pays voisins.
 

Les interdépendances territoriales dans la Grande Région

Quatre pays, aux structures, organisations ou encore législations différentes se rejoignent dans la Grande Région et tendent à converger sous l’influence du cadre politique, juridique et monétaire de l’UE. Les flux de travail frontalier, nombreux, constituent l’indicateur le plus flagrant de la nécessité de coopération et de réflexion sur le rôle joué par les frontières, en particulier en temps de crise comme la crise sanitaire actuelle.

 

Image 3 : Principaux flux de travailleurs frontaliers au sein de la Grand Région en 2017. Source : Université du Luxembourg, cartographie M. Helfer


Le travail frontalier au sein de la Grande Région devenu structurel est ancré dans les économies locales, d’autant que l’UE lui fournit un cadre réglementaire. A un niveau géographique fin, le calcul du pourcentage de travailleurs frontaliers parmi les actifs habitant dans la commune (en France) est révélateur du niveau d’imbrication et d’interdépendances frontalières. Les pourcentages sont supérieurs à 50% pour les communes les plus proches des frontières luxembourgeoises, les proportions étant moins élevées à proximité de la Sarre, où le travail frontalier est moins important qu’au Luxembourg et en perte de vitesse ces dernières années.


Image 4 : Pourcentage de travailleurs frontaliers parmi les habitants des communes françaises ayant un emploi (2014). Source : Université du Luxembourg, d’après les données INSEE, cartographie M. Helfer

Les interdépendances ne sont pas seulement géographiques, elles sont également économiques et sectorielles. Au Luxembourg, en mars 2019, moins de trois salariés sur dix sont de nationalité luxembourgeoise et près de 45% des salariés sont des travailleurs frontaliers (venant de France, Belgique et Allemagne). Certains secteurs d’activité comptent une très forte proportion de travailleurs frontaliers parmi leurs actifs. Ce sont des pans entiers de l’activité économique luxembourgeoise qui sont alimentés par les travailleurs venus de l’étranger, comme le secteur de la santé, composé pour 60% de personnel frontalier comme l’a indiqué la Ministre de la santé du Luxembourg, Paulette Lenert, au plus fort de la crise sanitaire, craignant un effondrement du système des soins en cas d’absence des frontaliers.

En Sarre, c’est dans l’industrie (notamment automobile) et l’Intérim que les frontaliers ont le plus de poids (resp.7,5 % et 10% des actifs).
 

Tenter de s’affranchir des frontières par le télétravail

Le télétravail, ou travail à distance, constitue la réponse la plus simple et efficace pour maintenir l’activité des salariés. Lorsqu’il est réalisable, il permet de respecter les mesures de confinement et de maintenir la distanciation sociale nécessaire entre salariés en temps de pandémie. Précisons néanmoins que le télétravail ne peut être réalisé par l’ensemble des salariés. Au-delà de l’organisation du travail en entreprise, cette discussion pose, dans un contexte transfrontalier, d’importants enjeux fiscaux et de développement territorial. Le télétravail des travailleurs frontaliers est encadré par deux plafonds. Sur le plan fiscal d’une part, l’UE ne dispose pas de compétence. En revanche, l’OCDE préconise que l’impôt soit levé dans le pays où le travail est effectué. Les modalités sont ensuite réglées par conventions interétatiques. C’est ainsi que le Luxembourg a défini avec ses voisins le seuil en dessous duquel les salariés peuvent télétravailler dans leur pays de résidence. Les impôts sur le revenu ainsi générés restent perçus exclusivement par le Luxembourg jusqu’à 19 jours travaillés dans le pays de résidence pour les salariés résidant en Allemagne, 24 pour ceux résidants en Belgique et 29 pour ceux résidants en France. Au-delà, le salarié doit déclarer des revenus dans le pays de résidence et le pays de travail doit réduire en conséquence son imposition. Ces seuils définissent donc de fait le nombre de jours qu’un salarié frontalier peut télétravailler. Sur le plan social d’autre part, la réglementation européenne prévoit que le salarié puisse télétravailler jusque 25% de son temps de travail global. Cela garantit aux travailleurs qu’ils ne relèvent que d’un seul système social (auquel sont associés également droits à la retraite, droits à la sécurité sociale et les allocations familiales).

Pour faire face à ces contraintes réglementaires et assurer la continuité d’une partie de l’activité pendant la pandémie, l’Allemagne, la Belgique, la France, la Suisse et le Luxembourg se sont accordés pour que – « jusqu’à nouvel ordre » – le nombre de jours télétravaillés ne soient pas comptabilisés dans le calcul des journées prévues par les conventions fiscales bilatérales. Ce sont aussi autant de jours que les pays de résidence renoncent à imposer (et donc une perte potentielle de recettes fiscales), gommant ainsi les frontières fiscales, pendant une période donnée, afin de faire face à la pandémie et trouver des solutions permettant la poursuite de l’activité pour les frontaliers pouvant télétravailler.
 

Isabelle Pigeron-Piroth, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg
Estelle Evrard, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg
Rachid Belkacem, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
 

Remarque

Pour des analyses plus complètes voir l’article :  Isabelle Pigeron-Piroth, Estelle Evrard et Rachid Belkacem : Marché du travail transfrontalier : négocier avec les frontières à l’heure de la crise sanitaire COVID-19. Dans : Mein, Georg / Pause, Johannes (éds.): Self and Society in the Corona Crisis. Perspectives from the Humanities and Social Sciences (The Ends of Humanities, Vol. 2). Esch-sur-Alzette, Melusina Press, à paraître.

Qu'est-il arrivé à nos régions transfrontalières ? Corona, étrangeté et activisme frontalier transnational dans la région frontalière entre le Danemark et l'Allemagne (Martin Klatt, Université du sud du Danemark), 04/06/2020

Texte disponible en anglais

Martin Klatt, Centre for Border Region Studies, Université du sud du Danemark

COVID-19 dans la zone frontalière de San Diego et Tijuana : entre les processus de re-bordering et les réalités contradictoires (Albert Roßmeier, Université de Tübingen/Université de la Sarre), 04/06/2020

Texte disponible en anglais

Albert Roßmeier, doctorand, Université de Tübingen et Université de la Sarre

Fermeture des frontières nationales : récits en territoire transfrontalier (Beate Caesar, Nicolas Dorkel, Sylvain Marbehant, Hélène Rouchet, Greta Szendrei), 02/06/2020

La fermeture soudaine des frontières au sein de la Grande Région

Le vendredi 20 mars 2020, en réponse à la crise sanitaire que le cœur de l’Europe traversait depuis plusieurs semaines, la Belgique décidait de limiter les passages des personnes au niveau de ses frontières nationales. Cette mesure inédite pour les jeunes générations, motivée par le besoin de limiter la propagation du virus COVID-19, a été presque simultanément décrétée dans les pays limitrophes de la Belgique, avec des degrés spécifiques à chaque pays.

La Grande Région concentre de grands flux transfrontaliers de mobilité notamment en ce qui concerne le travail et le commerce de détail. Des centaines de kilomètres de frontière furent décrétés quasi – infranchissables (flux restreints et contrôlés). Soudainement, les habitants et les travailleurs de la Grande Région ont été confrontés à des mesures contraignantes dans leur vécu et leurs habitudes, de part et d’autre des frontières qu’ils traversent quotidiennement, mettant au défi leur capacité de résilience.

Cette situation inédite a également éveillé de nombreuses prises de positions d’ordre intellectuelle, politique ou morale, notamment. Les plus pressés ont pris ces récents évènements pour légitimer leur vision des frontières européennes. On a ainsi entendu les grandes leçons des défenseurs du souverainisme et du repli national ou les habituels hérauts des catastrophes globalisées et autres enthousiastes des théories du complot. Cette actualité a permis la manifestation de nombreuses visions critiques et aprioristes de notre monde tel qu’il était avant la crise. Leur immédiateté était la première faiblesse de ces commentaires épidermiques. En effet, ils disaient finalement bien peu de la situation effectivement vécue.

Un autre regard est néanmoins possible, notamment chez ceux qui côtoient, vivent à proximité et étudient les frontières dans la Grande Région.

 

Des microbes et virus qui rapprochent ?

Bruno Latour, interviewé sur France Inter le 3 avril 2020, suggérait d’appréhender la crise en cours différemment, afin de dépasser l’immédiateté des premiers commentaires. En 1984, dans « Pasteur : guerre et Paix des Microbes », Latour s’était intéressé aux évolutions des pratiques scientifiques qui avaient découlé de la découverte des microbes. Au niveau de la société et de la culture, ainsi qu’au niveau des pratiques de soin, cette découverte avait renforcé les doctrines hygiénistes qui encourageaient déjà la distanciation au sens large. Par contre, selon le propos de Bruno Latour, concernant la recherche scientifique, cette période de progrès avait instauré de nouvelles pratiques et permit de nombreux rapprochements entre différents domaines scientifiques. Autrement dit, si les microbes avaient contribué à éloigner les gens dans la sphère sociale, ils avaient, d’une certaine manière, rapproché d’autres acteurs dans le domaine des sciences.

Ce petit détour historique inspire ainsi une approche pour aborder la crise en cours. En effet, la fermeture temporaire des frontières européennes a interrompu, dans un premier temps, de nombreuses pratiques sociales et culturelles dans nos régions transfrontalières. Mais au lendemain de la fermeture, de nouvelles manières de vivre et d’appréhender les frontières ont émergé. C’est une partie de ces pratiques, souvent inattendues et issues du vécu des témoins en période de crise, qui sont ici exprimées.

Les quelques récits qui suivent, des plus anodins aux plus emblématiques, relatent chacun la manière dont la fermeture des frontières a impacté le vécu et le quotidien de certains habitants et acteurs du territoire transfrontalier de la Grande Région. Des lieux et des acteurs très différents y sont invoqués, mais, chaque fois, la fermeture soudaine des frontières nationales les dévoile sous un nouveau jour. Ces histoires constituent un modeste inventaire du devenir de nos frontières dans cette période inédite.

 

Enseigner la planification transfrontalière à l'époque de Corona (Beate Caesar)

Avec un collègue du département d’urbanisme, je supervise actuellement un projet d'étude d'un groupe de 8 étudiants bacheliers. Ce projet est leur dernier cours avant la rédaction de leur travail de fin d’études. Il a débuté en avril, juste après Pâques.

Le thème du projet de cette année "Perspectives transfrontalières pour le développement urbain de Saarlouis" est évidemment lié à la frontière franco-allemande. Lorsque le sujet a été défini en décembre 2019, nous ne pouvions pas imaginer que les frontières administratives entre la France et l'Allemagne seraient fermées quelques mois plus tard.

Le 11 mars 2020, mon collègue et moi sommes partis en repérage afin de préparer une excursion avec les étudiants. Nous sommes partis en voiture pour aller à Halde Ensdorf, nous avons escaladé le Saarpolygon avec une vue magnifique sur Saarlouis et, plus loin, sur la frontière française. Nous avons traversé le centre-ville de Saarlouis à la recherche d'influences françaises, et nous avons jeté un coup d'œil au nombre de voitures françaises chez IKEA (et pas seulement quelques-unes). En début d'après-midi, nous nous sommes dirigés vers la zone frontalière française via Wallerfangen (émetteur longues ondes d’Europe 1), nous avons fait une promenade sur la frontière franco-allemande (« Rue de la Frontière/Neutrale Straße ») du village de Leidingen/Leiding, puis nous avons roulé jusqu'à Bouzonville, une municipalité française de près de 4 000 habitants. En nous promenant dans la commune, nous avons pris des photos, discuté de nos impressions et acheté des pâtisseries dans une boulangerie locale. Nous avons ensuite traversé la zone frontalière française en passant par Obersdorff, Villing, Berviller-en-Moselle – Merten et avons de nouveau traversé la frontière (rue de la Frontière) pour revenir en Allemagne via Bisten (Überherrn). Aucun contrôle frontalier, aucun signe suspect de Corona. Juste une zone frontalière paisible et plutôt rurale comprenant des parties de la Sarre et du Grand Est. Dès notre retour à Kaiserslautern, nous avons appris dans les nouvelles du soir que la région française du Grand Est avait été classée comme zone à haut risque par l'institut allemand Robert-Koch au cours de la journée. Cela signifiait pour nous deux semaines de quarantaine et de travail à domicile. Nous ne pouvions pas le croire.

Rétrospectivement, nous sommes heureux d’avoir pu nous y rendre juste avant que la frontière entre les deux pays ne soit finalement fermée le 20 mars 2020 pour une durée indéterminée. À peu près au même moment, tout le personnel de la Technische Universität de Kaiserslautern a été consigné en télétravail. Cela a soulevé de nouvelles questions : le projet de bachelier peut-il être mené à bien ? Pouvons-nous faire la visite sur le terrain ? Devons-nous changer de sujet, etc. ? La pandémie de Corona est devenue un défi pour le projet et nous avons décidé d'en tirer le meilleur parti. Il n'y avait pas d'autre choix, car, bien sûr, la santé passe avant tout.

Nous avons conservé le thème principal, modifié la méthodologie, ajouté l'aspect de la pandémie comme question de recherche et demandé aux étudiants d'analyser ses effets sur la frontière franco-allemande. Les médias regorgent de reportages sur les défis qui se posent actuellement à la frontière franco-allemande en raison du verrouillage et contribuent à la compréhension, pour les étudiants, des fortes interdépendances transfrontalières entre les deux pays. Des visioconférences hebdomadaires avec les superviseurs structurent le travail de groupe. Notre visite sur le terrain a été menée de manière virtuelle. Chaque étudiant a analysé un lieu différent à partir d'informations et de photos provenant d'internet et l'a présenté lors des visioconférences. Cela a permis aux étudiants d'avoir une vue d'ensemble de la région frontalière. Néanmoins, plusieurs étudiants ont explicitement mentionné qu'il leur manquait une proximité et un contact avec la région étudiée puisqu’ils n'y ont jamais été. En tant que planificateurs, nous avons l'habitude de faire des excursions, de développer des connexions avec la région, avant de proposer un plan. Un cours intensif transfrontalier de deux jours pour les étudiants de la Grande Région sur les cultures de l'aménagement, organisé par des étudiants de l'université de Lorraine, a également dû être annulé. Cela aurait été une excellente occasion pour nos étudiants d'échanger avec des étudiants français et d'explorer la zone d'étude. Cependant, il n'est pas possible actuellement de voyager en groupe et de traverser la frontière, nous devons donc nous adapter à cette situation. Par chance, deux étudiants ont grandi près de la frontière française et peuvent partager leurs expériences personnelles avec le groupe. En outre, les étudiants ont identifié plusieurs personnes potentielles de la région qu'ils tentent de contacter en ligne ou par téléphone afin d'en savoir plus sur la zone transfrontalière.

Nous espérons vivement la résolution de la situation actuelle afin que les frontières soient rouvertes prochainement pour poursuivre la coopération et les échanges transfrontaliers avec nos collègues en France et dans le reste de la Grande Région.

 

Image 1 : Dernière réunion virtuelle tenue dans le cadre du projet d’étude suivi à la Technische Universität de Kaiserslautern, © Beate Caesar 2020

« Aïe, aïe, aïe, le dentiste ! » (Nicolas Dorkel)

Un membre de ma famille réside à Ham-sous-Varsberg à 7 kilomètres de la frontière franco-allemande. Il est travailleur frontalier et tout à fait bilingue. Il avait débuté un programme dentaire avant le confinement chez un dentiste allemand. Après quelques rendez-vous déplacés du fait du début de la crise, il a été convié à un nouveau rendez-vous courant du mois d’avril.

Pour rejoindre le cabinet de son dentiste, il se rend en voiture afin de traverser la frontière sur la route entre Creutzwald (France) et überherrn (Sarre). Au premier arrêt par la gendarmerie du côté français, il présente ses papiers d’identité, son attestation française de déplacement (pour motif médical), ainsi que la convocation médicale. Réponse de l’officier français :

« Vous pouvez essayer de passer, mais il n’y a aucune chance que les policiers allemands vous laissent entrer. Et avant cela, il vous faudra passer par la douane. »

La douane est stationnée quelques mètres plus loin sur le bas-côté et fait signe à la personne de passer.

Arrivant à hauteur de la police allemande, l’agent lit la convocation médicale, la lui tend en retour, et lui répond avec un air de compassion :

« Aïe, aïe, aïe chez le dentiste, bon courage. »
 

Une solution « à la Belge » à la frontière franco-allemande (Sylvain Marbehant)

Depuis plusieurs années, le photographe David Helbich parcourt les rues de Bruxelles pour documenter de manière humoristique les aménagements temporaires et bricolés que l’on trouve très couramment dans l’espace public bruxellois. Ces aménagements sont le plus souvent des solutions bricolées et réalisées sur des chantiers de voirie à la va-vite par des ouvriers ou par des usagers qui voient leur usage de l’espace public contraint par ces chantiers. Dans cette ville où cohabitent les pouvoirs communaux, régionaux, nationaux et européens, ces aménagements temporaires sont révélateurs du flou qui règne quant à certaines compétences de gestion et d’intervention de et dans l’espace public.

La période de fermeture momentanée des frontières en Europe a engendré une situation similaire, mais cette fois à la frontière franco-allemande. Le 20 mars 2020, au lendemain des mesures historiques prises par les pays européens concernant la limitation des flux transfrontaliers des personnes, des barrières temporaires ont été installées au centre de la rue Victor Hugo à Schoeneck, ville franco-allemande située à la frontière entre la Lorraine et la Sarre. Ces barrières ont été déposées en une journée par l’Office national de la construction de la Sarre et sans avoir pris le temps d’en informer le maire du Village qui s’en est plaint dans la presse locale. De surcroit, les barrières empiétaient d’environ 60 mètres au-delà de la frontière, en territoire français.

Si un tronçon de la rue Victor Hugo matérialise bel et bien la frontière (trottoir y compris), la voirie est malgré tout sur territoire français et habituellement gérée par la municipalité de Schoeneck. Seules certaines maisons de la rue sont strictement sur territoire allemand. Ici, d’une certaine manière, l’espace public à l’avant de ces maisons a donc été annexé momentanément par la Sarre. Cette annexion inattendue était inédite de mémoire de villageois.

Depuis, la Sarre a reconnu l’erreur commise et retiré les barrières installées au-delà de la frontière. Les barrières à cheval sur les deux pays ont par contre été maintenues, interdisant toujours le passage des voitures dans la rue et limitant celui des piétons.
 

"Ne touchez pas à mon Schengen" (Greta Szendrei)

La journée de l'Europe a été célébrée le samedi 9 mai 2020. Mais dans le petit village de Schengen, cette journée a rappelé à quel point les contrôles actuels aux frontières allemandes vont à l'encontre de tout ce que représente Schengen et son traité homonyme. Alors que les frontières de l'Allemagne avec ses autres pays voisins sont restées ouvertes, la confusion règne concernant les contrôles frontaliers entre l’Allemagne et le Luxembourg.

La position de Schengen en tant que point de rencontre entre la France, l'Allemagne et le Luxembourg en fait un village généralement très animé. Les touristes à la pompe y profitent des prix moins élevés du carburant, des cigarettes et de l'alcool, et s'arrêtent occasionnellement pour admirer les monuments européens le long de la Moselle. Ces dernières semaines, depuis la mise en place des contrôles aux frontières, le village est resté étrangement silencieux. Le samedi 9 mai par contre, à l'occasion du 70e anniversaire de la déclaration Schuman et de la Journée de l'Europe qui célèbre l'unité, la force et la solidarité de l'Union européenne, Schengen a repris vie. Les manifestants, qui gardaient une distance de deux mètres entre eux, accompagnés d’affiches, du drapeau de l'UE en berne et de bougies, ont protesté en silence contre les contrôles frontaliers effectués à la frontière allemande. Des manifestations similaires ont eu lieu à Wormeldange, Wasserbillig et Echternach, lieux qui sont également des points de passage importants du Luxembourg vers l'Allemagne.

Mais c'est à Schengen que cette protestation prend tout son sens, et d'autant plus de sens que le traité par lequel nous bénéficions tous de déplacements sans frontières dans toute l'UE y a été signé, qu’on y revendique fièrement son patrimoine européen tout au long de l'année grâce à son musée européen, via des noms de lieux tels que la place de l'Europe et à des monuments promouvant une « Europe sans frontières ». Les manifestants ont choisi le pont qui relie le Luxembourg, la France et l'Allemagne et qui est un symbole de connexion, de solidarité et d'unité entre ces trois pays, pour y apposer des affiches telles que « Keep Schengen Alive », « Brücken verbinden, Grenzen nicht » et un dessin d'enfant intitulé « Europa ohne Grenzen ».

Après avoir vu les protestations de Schengen dans les journaux, j'ai pris mon appareil photo et je suis descendu à la rivière pour prendre quelques photos. Je n'étais pas la seule, et d'autres ont également profité de l'occasion pour se tenir dans la rue exceptionnellement vide et prendre des photos du pont déserté. Je me suis sentie liée à ces personnes qui ont pris le temps de voir de leurs propres yeux la frontière invisible. J'ai également ressenti le sentiment de colère qui régnait suite au fait que Schengen et ce qu'il représente soient attaqués de cette manière. Je ne saurais mieux résumer ce sentiment que par la plus pertinente des affiches vues dans les nouvelles et qui disait : « Ne touchez pas à mon Schengen ».

 

 

 

 Image 2 : Affiches vues sur le pont traversant la Moselle à Schengen suite aux manifestations du 9 mai 2020, © Greta Szendrei 2020

 

La “Cabane de contrebande” ou « Schmuggelbud » (Nicolas Dorkel)

Le bar-restaurant « Schmuggelbud » est déjà un lieu particulier en temps normal. Il s’agit d’un bureau de tabac et bar-restaurant situé à la frontière franco-allemande dans la conurbation de Creutzwald, mais accessible uniquement depuis la France. Le différentiel de prix du tabac fait que ce lieu attire. C’est un lieu atypique. Situé en Allemagne, mais accessible uniquement par la France, seuls les résidents français y ont accès en ces temps de fermeture des frontières. Il fonctionne donc un peu à l’inverse de l’indication du site internet du restaurant : « En France, mais quand même en Allemagne ! ».

Lors de la mise en place de barrières tout le long de la frontière franco-allemande, ce bureau de tabac est resté ouvert et aucune barrière n’a été déposée. Ce bureau de tabac est devenu le seul ouvert (avec des avantages de 3 à 4 € par produit) et accessible pour un bassin d’habitants qui, auparavant, avait d’autres échanges commerciaux avec son voisin allemand. En d’autres termes, les personnes qui se rendaient précédemment en Allemagne pour une activité (travail, achats, loisirs) en faisant un détour pour acheter du tabac se sont toutes rendues dans ce seul lieu.

Différents rebondissements sont survenus pendant cette période d’ouverture contestable. Dans un premier temps, face à un afflux de clients plutôt massif avec des files allant jusqu'à 50 mètres, la distribution des cigarettes a d’abord été « rationnée » à une cartouche par personne. Le lieu a ensuite été fermé par la mairie allemande en réponse à des plaintes des riverains allemands se plaignant de l’afflux inédit de clients à cet endroit. Le lieu a ensuite rouvert le 27 avril 2020 sans autre explication et est resté une des exceptions à la règle du confinement et à la fermeture des frontières entre états.

Il s’agit ici d’un lieu qui a échappé aux législations et qui n’a jamais aussi bien porté son nom signifiant littéralement « la cabane de contrebande ». Le dernier épisode daté du 18 mai 2020 est la réouverture de la partie restaurant, dans laquelle les Français, toujours privés de ce type de lieux, peuvent dès lors se retrouver.
 

Appréhender nos frontières sans apriori

Ces quelques récits ont pour vocation de prendre à contrepied les analyses savantes qui ont bourgeonné durant les premiers temps de la crise. En les racontant, on met à jour les relations inattendues entretenues par les habitants et les acteurs de la Grande Région pendant ces semaines historiques de fermeture des frontières. On porte alors attention aux caractéristiques oubliées de nos frontières.

Privés de la possibilité de découvrir physiquement le territoire transfrontalier qu’ils étudiaient, les étudiants et enseignants de l’Université Technique de Kaiserslautern ont dû mobiliser des moyens virtuels pour aborder ce territoire et ont même convoqué la mémoire de certains pour l’appréhender. Le patient du dentiste allemand a constaté avec satisfaction que les aprioris culturels transfrontaliers ne se vérifiaient pas toujours. Les habitants de la rue Victor Hugo ont découvert l'impact de l’absence de matérialisation locale des frontières européennes depuis leur ouverture il y a 25 ans Les lieux emblématiques de la construction européenne tels que Schengen ont conservé leur force évocatrice et ont accueilli des manifestations silencieuses du sentiment d’appartenance au territoire européen. Enfin, le patron « contrebandier » a fait fonctionner son établissement aux limites de ce qui lui était autorisé pour assurer la continuité de son service.

Les premiers effets perçus de cette crise ont bien sûr été le confinement et l’immobilité des personnes. Mais cette situation de fermeture a également engendré ou encouragé l’émergence de nombreuses dynamiques. Au-delà d’un premier exercice de narration, ces histoires mettent à jour, d’une part, la capacité de résilience au sein de la coopération et de la solidarité transfrontalière et, d’autre part, les étonnantes configurations et pratiques engendrées par la fermeture de nos frontières pendant ces longues semaines. Un enseignement inspiré de cet exercice consisterait à proposer une manière constructive de caractériser cette période par l’exposition et l’examen de ces dynamiques émergentes : inventorier les acteurs et groupes d’acteurs qui y prennent part ; qualifier leur importance, leur nature publique, privée ou citoyenne ; lister les moyens matériels et instrumentaux mobilisés ; mettre en évidence les nouveaux moyens qui auraient été utilisés ; identifier les domaines qui se sont rencontrés dans cette crise. En bref, dresser l’inventaire de tout ce que ces événements en période de crise ont engendré de positif, d’inattendu et d’innovant.
 

Groupe de Travail Aménagement du Territoire de l’UniGR-Center for Border Studies :

Beate Caesar, Fachgebiet Internationale Planungssysteme, Technische Universität Kaiserslautern
Nicolas Dorkel, LOTERR – Centre de recherche en géographie, Université de Lorraine
Sylvain Marbehant, LEPUR – Centre de Recherche sur la Ville, le Territoire et le Milieu rural, Université de Liège
Hélène Rouchet, LEPUR – Centre de Recherche sur la Ville, le Territoire et le Milieu rural, Université de Liège
Greta Szendrei, Department of Geography and Spatial Planning, Université du Luxembourg

L'hébergement des réfugiés et les camps comme paradigme frontalier: Réalités de vie en temps de pandémie de Corona (Claudia Böhme et Anett Schmitz, Université de Trèves), 02/06/2020

Texte disponible en allemand

Claudia Böhme, Département Sociologie/Ethnologie, Université de Trèves 
Anett Schmitz, Département Sociologie/Ethnologie, Université de Trèves 

Virus Corona, fermeture des frontières et sécurité alimentaire : Observations en Jamaïque (Lisa Johnson, Université de Trèves), 14/05/20

Texte disponible en anglais.

Lisa Johnson, IRTG Diversity: Mediating Difference in Transcultural Spaces, Université de Trèves

Chroniques des frontières vivantes : l’espace urbain partagé de Gorizia (IT) et Nova Gorica (SLO) (Svetlana Buko, DOBA Business School), 07/05/20

Texte disponible en anglais

Svetlana Buko, associate professor (docent) of intercultural management, DOBA Business School, Slovénie

Les confinés, ce sont les plus mobiles ! (Anne-Laure Amilhat Szary, Université de Grenoble-Alpes), 28/04/20

Le confinement spatial est aussi une question de frontières. Les confinés sont ceux qui, même immobiles, « ont accès ». Pouvoir se confiner relève du même processus que pouvoir traverser une frontière légalement, il faut appartenir au cercle restreint des « acteurs » de la globalisation.

Depuis que le virus Covid-19 a été identifié, le repli spatial a constitué une préconisation politique essentielle. Ce qui est recommandé sous le terme désormais consacré de distance sociale, c’est le maintien d’une distance minimale entre les personnes, bien géographique celle-là. Et la mettre en œuvre suppose une forme de maîtrise sur nos conditions de vie, sur notre habiter. Confiner, c’est placer entre des limites. Cela implique que le contour que l’on érige à la périphérie de soi-même, entoure un centre, stable lui ! En filigrane de cette politique, on voit s’esquisser une pensée politique de l’espace très classique, tout à fait en décalage avec l’analyse des mobilités contemporaines.

Ne sont véritablement confiné·es aujourd’hui que celles et ceux qui ont un logement suffisamment grand pour permettre au nombre de personnes qui y vivent de ne pas trop en sortir. En avoir deux, qu’on soit des enfants en résidence alternée ou des couples non-concubins, c’est déjà se trouver hors de ce cadre normatif… Cette logique de sédentarité extrême se présente désormais comme une marginalité spatiale positive, car choisie. Ne sont donc concernés ni les sans-logis, ni les entassés. Notamment celles et ceux qui subissent, en prison ou en centre de rétention administrative, une assignation de mise l’écart de la société qui prend effet dans des lieux enclos où le confinement est paradoxalement impossible : les densités trop fortes s’y traduisent dans les faits par une promiscuité délétère.
 



Ceux qui ont « accès »

Le confinement dont il s’agit n’a rien d’un enfermement ! Et ce, malgré le sentiment croissant de frustration de celles et ceux qui l’appliquent depuis un mois en se privant de l’accès à la multiplicité des lieux habituellement fréquentés. A y regarder de plus près, ne sont finalement concernés que celles et ceux qui peuvent vivre entre quatre murs parce qu’ils le font de manière tout à fait connectée ! Pouvoir, depuis chez soi, conserver des ressources régulières, c’est travailler à distance, être retraité ou encore indemnisé pour un chômage partiel ou permanent, un arrêt maladie. On continue alors d’être relié à un système marchand, lui-même relayé par un complexe bancaire qui nous « donne accès ». Et place les personnes concernées en situation de continuer à consommer à distance (faire ses courses le moins loin possible du domicile, se faire livrer, etc.).

Certes, certains biens et services, notamment immatériels, sont désormais inaccessibles : soins du corps, pratiques de sociabilité, offre culturelle. Et l’avalanche d’ouverture de contenus en ligne dans ces domaines ne compense pas ce qui fait leur force habituelle, l’intensité des liens que ces secteurs stimulent. Mais ce mode « dégradé » reste un luxe, la carapace électronique qui garantit la faisabilité de notre enfermement apparent. Toute cette insertion économique se produit dans un processus d’invisibilisation des liens, produit par le système capitaliste qui les financiarise. Qu’il est facile de commander sur une grande plateforme en ligne sans penser aux employés qui travaillent dans ses entrepôts, livrent, déploient matériellement les réseaux sur lesquels repose notre approvisionnement !

Informalisés et autres illégalisés

Les confiné·es sont donc celles et ceux qui, même immobiles, « ont accès ». A l’extrémité inverse du spectre social, les non-productifs, les « informalisés » et autres « illégalisés », celles et ceux qui ne peuvent plus vendre leur travail manuel et physique (ménage, construction), qui ne sont pas pris en charge par les systèmes de santé, et tous ceux qui ont du mal à se relier au monde libéral. On peut aussi assister à des bascules rapides : l’étudiant·e issu·e d’un milieu modeste, qui n’a pas d’ordinateur ou de bonne connexion internet chez lui, parfois confiné·e dans une chambre minuscule où il·elle est désormais privé de la restauration à bas prix du Crous, peut tout à fait décrocher de la dynamique vertueuse que ses efforts lui avaient permis d’intégrer, éjecté du monde mobile auquel il aspirait.

Paradoxalement, celles et ceux qui peuvent aujourd’hui se confiner dans de bonnes conditions sont très exactement les personnes qui avaient accès à la liberté de mouvement dans le monde d’avant. Ce sont des personnes qui disposent d’un degré d’autonomie globale leur permettant de choisir les interactions qui les mondialisent : en d’autres termes. Ce sont précisément celles et ceux qui disposaient d’un niveau de « frontiérité » élevé, pour reprendre une expression que j’ai forgée avec Frédéric Giraut pour qualifier nos capacités inégales à traverser les frontières.

Pouvoir se confiner relève du même processus que pouvoir traverser une frontière légalement : il s’agit de deux modalités de l’appartenance au cercle restreint des « acteurs » de la globalisation. Ce sont deux faces de l’« inclusion différentielle » (Sandro Mezzadra) qui régit désormais le corps social. Loin de l’égalité démocratique, l’attribution des droits politiques, notamment l’accès à une citoyenneté pleine et entière, semble dépendre de cette aptitude à pouvoir démontrer de l’utilité individuelle dans la mondialisation. Gommer opportunément de nos radars le fait que ceux qui produisent à bas coût des jeans ou des téléphones, du coton ou des minerais, actent tout autant cette économie inter-reliée que les élites mondialisées. Ne pas voir l’écheveau des liens complexes de notre système monde dont le Covid-19 est le symptôme, ne pas considérer pas la matérialité des biens qui sont derrière les liens électroniques sur lesquels repose notre confinement, c’est faire l’autruche.

Les confinés, c’est-à-dire les plus « frontiérisés », se trouvent être aussi les êtres humains qui ont la plus forte empreinte écologique ! Sortir du confinement ne se fera pas en réouvrant les frontières, mais en re-visibilisant les liens. L’analyse fine des inégalités territoriales du monde mobile qui a produit la crise du Covid-19 constitue une étape essentielle pour poser les bases de la justice sociale nécessaire pour imaginer l’« après ».
 

Cet article a été publié en premier lieu sur Libération.
 

Anne-Laure Amilhat Szary, Pacte – laboratoire de sciences sociales, Université de Grenoble-Alpes

Plurilinguisme unilatéral dans la Grande Région en temps de frontières fermées (Philipp Krämer, Université européenne Viadrina, Francfort / Oder), 20/04/20

Texte disponible en allemand

Philipp Krämer, Viadrina-Center B/ORDERS IN MOTION, Université européenne Viadrina, Francfort / Oder

La frontière franco-allemande au temps du Covid-19 : la fin d’un espace commun ? (F. Berrod, B. Wassenberg, M. Chovet, Université de Strasbourg), 20/04/20

Quelle surprise pour les passeurs de frontières quotidiens entre Strasbourg et Kehl le 16 mars 2020 : la frontière est fermée par des barrières et des policiers. Une expérience radicale à une frontière qui avait été complètement transformée par la libre circulation, au point de laisser passer poussettes, joggeurs et tram par-dessus le Rhin et développer un seul jardin sur ses deux rives. En une nuit de mars, cet espace symbole de la construction européenne fait un retour vers les antiques frontières, celles qui découpaient les souverainetés de part et d’autre du Rhin. Le souvenir d’une frontière douloureuse, qui se déplaça plusieurs fois au cours des deux siècles derniers, remonte à la surface…
 

La frontière : un espace à nouveau contrôlé

Il n’est pas étrange de voir renaître un contrôle national de la frontière d’un État, comme le concède d’ailleurs la Commission européenne depuis le 20 mars 2020. Reste à savoir pourquoi. Après avoir expliqué que les contrôles visaient à éviter l’entrée des Français risquant de dévaliser les rayons des supermarchés allemands, ce qui paraissait clairement disproportionné, la fermeture de la frontière fut justifiée par la nécessaire protection de la population allemande contre le virus potentiellement porté par des personnes provenant d’une zone à risque, le grand Est.

De tels contrôles ne semblent pourtant pas adaptés au contexte européen, pour deux raisons. On refoule tous les Français du Grand Est à la frontière, et pas seulement les malades du Covid-19 ; et les camionneurs passent sans que leur santé soit contrôlée. La frontière semble donc servir à rassurer les opinions publiques plus qu’à éviter la propagation du virus.

Ce qui est plus préoccupant encore est que ce contrôle systématique est mis en place le 16 mars sans concertation avec les autorités de la Région Grand Est ou de Strasbourg – qui est, faut-il le rappeler, une Eurométropole. L’Eurodistrict n’est pas plus sollicité, alors qu’il dispose d’un conseil municipal conjoint. Il faudra donc une coordination pour éviter tout franchissement non nécessaire de la frontière entre les autorités françaises, réalisée non pas à Strasbourg ou au niveau du Grand Est mais au ministère de l’Intérieur à Paris avec le gouvernement fédéral allemand et des dirigeants de trois États régionaux frontaliers, le Bade-Wurtemberg, la Bavière et la Sarre.

 

 

 

Photo 1 et 2 : Pont Beatus-Rhenanus pour tramway, piétons et vélos qui relie Strasbourg et Kehl à la frontière franco-allemande (Source : Birte Wassenberg, Avril 2020)


La frontière, un espace de frottement des politiques nationales

Les États sont les seuls responsables de la politique de santé publique. Ils prennent les mesures adaptées à l’état de la population, en fonction de leurs spécificités sanitaires et de leur organisation institutionnelle. Cela explique des mesures différentes – voire opposées – selon les États.

La France est ainsi passée graduellement de l’interdiction de certains rassemblements au confinement général à partir du 16 mars. Dans le même temps, en Allemagne, les mesures de confinement sont d’abord discutées au stade des Länder avant d’être harmonisées – et seulement partiellement – au niveau fédéral. Alors qu’Emmanuel Macron annonce le 16 mars que « la France est en guerre », Angela Merkel se contente le 18 mars de lancer un appel aux Allemands : « Je vous en prie, restez à la maison ! » Les deux discours n’auraient pas pu être plus différents.

Mais la population allemande ne respecte pas d’emblée les conseils de la chancelière et ce sont les Länder, à commencer par la Bavière, qui imposent des mesures visant à assurer une « restriction des contacts humains ». Entre le 16 et le 22 mars, chaque Land fait « à sa façon » : les mesures varient du confinement total « à la française » en Bavière jusqu’à aucune restriction en Rhénanie-Nord-Westphalie (alors que c’est l’une des régions épicentres de la contagion en Allemagne). Entre ces deux extrêmes, tout est possible : une interdiction de se promener à plus de 2, 3, 4, 5 personnes… chaque Land envisage une limite différente.

L’Allemagne est piégée par son système fédéral. Une concertation s’impose alors entre le Bund et les Länder qui amène la chancelière à s’exprimer une deuxième fois devant le peuple allemand le 22 mars. Cette fois-ci, elle annonce des règles communes, notamment une « Kontaktsperre » (restriction de contact) qui est fixée à 2 personnes, avec l’exception d’une extension possible aux membres d’une même famille. Ces mesures interviennent une semaine après celles annoncées par la France et sont très différentes : il ne s’agit pas de confinement comparable à celui d’un état d’urgence car, pour l’Allemagne, il est délicat pour des raisons historiques d’imposer de telles mesures perçues comme autoritaires.
 

La frontière, un espace bricolé au « profit » des transfrontaliers

Les espaces frontaliers et leurs habitants sont, avec cette nouvelle frontière, les premières victimes. L’espace de vie commun qui s’est progressivement construit est remis en question par le coronavirus. Comme un symbole, le tramway qui intègre la ville de Kehl (Allemagne) dans le réseau strasbourgeois s’arrête depuis le 16 mars à la frontière, à la demande de la police allemande. Le bus Eurodistrict qui relie Erstein (France) à Lahr (Allemagne) est maintenu mais doit faire un détour car seuls quatre points de passage à la frontière sont restés ouverts. Les travailleurs frontaliers dont l’activité ne peut s’effectuer à distance doivent contourner ces premiers obstacles logistiques pour se rendre sur leur lieu de travail.

Il ne s’agit toutefois pas du seul obstacle à franchir. Les travailleurs frontaliers font aussi face à des injonctions diverses décidées de part et d’autre de la frontière. Un résident français travaillant en Allemagne doit se munir de l’attestation de l’employeur demandée par les autorités françaises pour justifier son déplacement. Il doit être aussi en possession du « Pendlerbescheinigung », permettant de traverser la frontière du côté allemand. L’impératif de maintenir les chaînes de distribution et de faciliter le passage des travailleurs dans le domaine de la santé semble en pratique difficile à atteindre !

La question des conséquences du télétravail sur le régime de sécurité sociale est tout aussi ubuesque. Un frontalier résidant en France et travaillant en Allemagne cotise auprès du système de sécurité sociale allemand. S’il télétravaille en France moins de 25 % de son temps de travail global, il reste affilié au système allemand. Le télétravailleur résidant en France doit-il changer de régime de sécurité sociale parce qu’il dépasse le seuil de 25 %, ce qui est tout le sens du confinement décidé par la France ? La ministre du Travail française, Muriel Pénicaud, a indiqué que « le salarié frontalier continuera de jouir de la sécurité sociale de son État d’activité ». Cette décision a été justifiée par la « situation de force majeure » qu’engendre le virus du point de vue juridique.

La diversité des obstacles rencontrés révèle à la fois l’importance du niveau pratique de l’intégration des espaces frontaliers et la faiblesse de la coopération administrative transfrontalière. Le coronavirus est un puissant révélateur de la difficulté à construire les micro-solidarités européennes malgré les efforts entrepris dans l’Union européenne et, surtout, dans le cadre du Conseil de l’Europe.
 

Le retour des frontières mentales

Si la nouvelle situation dans les régions frontalières en Europe inquiète, ce n’est pas tellement parce que l’idéal de l’Europe sans frontières semble s’écrouler. Certes, M. X, travailleur frontalier alsacien dans un garage à Kehl, doit désormais fournir, chaque jour, au moins quatre documents pour aller travailler en Allemagne, alors qu’il traversait jusque-là la frontière sans même s’en rendre compte si ce n’était le changement de langue. Mais c’est, au fond, supportable.

Ce qui est préoccupant, ce sont les effets psychologiques du processus de frontiérisation. Ils amènent au retour d’une réflexion politique réduite à l’horizon de l’échelon national. Il est en effet incompréhensible qu’il ait fallu presque deux semaines pour que les Länder frontaliers allemands, qui coopèrent avec leurs voisins français depuis les années 1960, leur proposent de prendre en charge des patients du Covid-19.

Ce sont ces réflexes nationaux qui sont insupportables, car ils annoncent le rétablissement des frontières mentales. L’illustre cette histoire vécue par un étudiant en médecine de Strasbourg, franco-allemand, qui souhaite rendre visite à sa mère à Kehl. Il arrive à passer la frontière en Allemagne seulement lorsqu’il montre son passeport allemand : « Ah, vous êtes allemand » dit le garde-frontière allemand, « alors vous pouvez passer ! » Il est évident que le coronavirus doit être français et qu’il ne touche pas les Allemands…

Mais le virus touche d’autres voisins, comme en témoigne cette nouvelle double clôture au lac de Constance, entre la Suisse et l’Allemagne, rappelant étrangement le rideau de fer. Il n’y avait, au début qu’une seule clôture, mais les couples se tenaient la main à travers, c’est ainsi que les autorités en ont construit une deuxième…

Cette frontiérisation s’effectue clairement sans consultation ni accord de la part des citoyens. Le danger est la remise en question des principes fondateurs de l’idée européenne, basée sur l’unification des peuples européens et non pas sur leur différentiation nationale. Si l’Union renonce au modèle de gouvernance à multiples niveaux associant le niveau européen, les autorités nationales et les collectivités locales et régionales dans les régions frontalières, elle va y perdre son âme sans parvenir à combattre la propagation d’un virus qui ne suit certainement pas une logique de contamination nationale.
 

Cet article a été publié en premier lieu sur The Conversation.


Frédérique Berrod, Sciences Po, Université de Strasbourg
Birte Wassenberg, Sciences Po, Université de Strasbourg
Morgane Chovet, Droit de l'Union européenne, Université de Strasbourg

Ne pas franchir la frontière : recommandation ou interdiction ? (Martin Unfried, Université de Maastricht), 16/04/20

Texte disponible en anglais. 

Martin Unfried, Institute for Transnational and Euregional cross border cooperation and Mobility, Université de Maastricht 

Rebordering linguistique : la construction du COVID-19 en tant que menace extérieure (Eva Nossem, Université de la Sarre), 09/04/20

Texte disponible en anglais

Eva Nossem, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre

Le coronavirus – nouveaux défis et perspectives pour les politiques frontalières et la gouvernance transfrontalière (Nora Crossey, Université de la Sarre), 08/04/20

Contexte d'analyse: la Stratégie France du land de la Sarre

En 2014 l'annonce de la Stratégie France par le gouvernement sarrois a eu un écho important. Cette stratégie vise à développer et à exploiter la " compétence historique concernant la France que le land  a développée au cours des dernières décennies au prix de grands efforts " (gouvernement du land de Sarre 2014, p. 1). Au cours des prochaines années et décennies, il est prévu de promouvoir, dans le cadre de cette stratégie, les connaissances linguistiques fonctionnelles dans le pays voisin, mais aussi une palette (variable) de coopérations institutionnelles et de projets de coopération, notamment avec le département voisin de la Moselle. L'objectif est de créer un "espace plurilingue d'empreinte franco-allemande" (gouvernement du land de Sarre 2014, p.4) qui profite culturellement, politiquement, mais aussi économiquement de la suppression de frontières linguistiques, économiques et culturelles. Pour la réalisation de cette Stratégie France et en vue de son succès sur le long terme, un rôle essentiel revient à la population ainsi qu'aux acteurs au niveau communal. En effet c'est à eux qu'il revient de donner vie à ces efforts institutionnels visant à rapprocher linguistiquement et culturellement ses pays voisins, et ce de façon durable. C'est ce qui m'a porté dans mon travail de recherche actuel et sur la base de la Stratégie France à m'intéresser aux interactions entre ces coopérations et la construction, respectivement la constitution, de ce que l'on désigne par ‚borderlands‘, compris en tant qu'espaces transfrontaliers au sein desquels les réalités de l'espace frontalier sont (re)produites et négociées au quotidien, aussi bien au niveau discursif que pratique. En simplifiant à l'extrême, cela revient à se poser la question de savoir où et comment se manifeste la gouvernance transfrontalière, quels sont les tracés des frontières qui se réalisent et quelles sont les impulsions que des ‚border policies‘ telles que la Stratégie France peuvent donner.

 

Classement actuel – frontières, tracés et traçage des frontières et contre-mouvements

La décision du ministère fédéral de l'intérieur de réaliser des contrôles aux frontières sarroises à partir du 16 mars 2020 et de fermer complètement d'autres passages de frontière pouvait sembler une mesure sensée et somme toute compréhensible à ce moment-là. D'une part la région voisine du Grand Est continuait à être classée comme région à haut risque par l'institut Robert Koch (RKI), d'autre part il semble compréhensible que face à un défi jusqu'alors totalement inédit l'on ait préféré prendre une mesure de précaution de trop que de moins – ‚better safe than sorry‘. Néanmoins ce repli sur soi à l'intérieur des frontières nationales ressemble à un réflexe et a quelque chose d'irritant, dans la mesure où un land qui s'est fixé pour objectif de devenir "le plus français de tous les länder du pays" (gouvernement de la Sarre 2014, p.3) insiste à présent pour que les contrôles à la frontière soient rétablis. Le scepticisme est encore renforcé par l'attitude de certains représentants politiques du land qui justifient la mise en place de ces contrôles à la frontière par des tracés de frontière douteux, au lieu de se baser sur des réflexions objectives. Le ministre de l'intérieur sarrois Klaus Bouillon (CDU) déclare : „Je n'ose même pas imaginer ce qui se passerait si toutes ces personnes étaient venues chez nous […]. À quoi sert un couvre-feu si en même temps des milliers de personnes veulent se rendre illégalement chez nous“ („Bouillon verteidigt Grenzschließungen“ / "Bouillon défend les fermetures de frontières, 6 avril 2020). Un de ses collègues du SPD critique que les contrôles des restrictions de sortie ne seraient pas suffisamment contrôlées côté français („Saar-SPD: Landtag soll in Krise mehr kontrollieren" / "Le SPD sarrois affirme: le parlement régional devrait contrôler davantage en temps de crise", 6 avril 2020). Même si ces derniers jours Bouillon a été freiné dans son ardeur par la chancellerie sarroise, („Wie Innenminister Bouillon im Saarland an seine Grenzen stößt“ / Le ministre de l'intérieur Bouillon atteint ses limites en Sarre"), cette différenciation qui oppose d'un côté le versant allemand ("ici") respectivement le "nous", perçus comme garants de sécurité et d'ordre du côté allemand de la frontière, et de l'autre un versant français peu sûr et désorganisé, perçu comme "différent" et par conséquent dangereux pour "nous" (les Allemands), soulève des questions sur lesquelles la politique et la science devront se pencher dans les semaines et les mois à venir. Côté français aussi, le mécontentement contre le 'repli' allemand s'est fait sentir. 

Malgré tous les soucis et l'alarme suscités par les frontières, respectivement leur résurgence, dont il est question ci-dessus, mais peut-être aussi en réaction à cela, il est possible d'observer une mobilisation successive de divers acteurs et actrices sarrois et lorrains visant à souligner symboliquement et dans la pratique le lien étroit entre les deux régions, également en temps de crise. En guise d'exemple, citons ici :

  • 22 mars : Le ministre-président Tobias Hans (CDU) annonce, en accord avec son homologue français Jean Rottner, mettre à disposition dans les hôpitaux sarrois des lits en soins d'urgence pour les patients français, dans la mesure des capacités disponibles. 2 avril : Publication d'une „déclaration de solidarité“ des maires sarrois via YouTube, dans laquelle les maires expriment leur lien particulier et leur solidarité avec les communes françaises partenaires en temps de crise (à la majorité en langue française) et soulignent la nécessité d'une amitié franco-allemande forte.
  • 2 avril : Réouverture du passage auparavant fermé à la frontière entre les communes de Petite-Roselle et de Großrosseln (pour les navetteurs, le transport de marchandises, les piétons et les cyclistes) après un appel du ministère sarrois de l'Europe et des finances adressé au ministère fédéral de l'intérieur.
  • 6 avril : Appel pour une initiative franco-allemande commune „Gemeinsam gegen Corona / Ensemble contre le coronavirus“ lancée par deux membres du Conseil parlementaire franco-allemand, Andreas Jung, député au parlement fédéral et Christophe Arend, du département Moselle.

 

Image. 1: Fermeture de la frontière de la piste cyclable transfrontalière de la Sarre (photo : Peter Dörrenbächer, avril 2020)

 


L'après-corona - nouvelles questions

Sur le fond de la Stratégie France présentée ci-avant, il paraît particulièrement intéressant dans la perspective de la recherche sur les frontières d'analyser de quelle façon se déploient ces réseaux à travers différents niveaux et en strates multiples, tout en dégageant les possibilités (d'action) des acteurs respectifs des deux côtés des frontières nationales. De nombreux acteurs semblent vouloir contribuer, dans le cadre de leurs possibilités, à soutenir l'amitié transfrontalière, même en temps de crise. Toutefois se pose la question de savoir comment se présente réellement ce cadre pour les différents acteurs au sein de la région frontalière; dans quelle mesure existe-t-il ou y aura-t-il des réseaux transfrontaliers sur lesquels les acteurs régionaux et communaux pourront s'appuyer afin de voir leurs intérêts pris en compte ? Il semble encore y avoir à ce jour et vu de l'extérieur un certain déficit quant aux possibilités d'une prise de décision aussi concertée que possible ou d'un guide commun d'action pour la Sarre et pour le département Moselle en tant que voisin français direct dont la population est directement concernée par les contrôles à la frontière.

Pour éviter d'en rester à un niveau purement descriptif, il sera nécessaire de prévoir ultérieurement, pour ainsi dire "post-corona", une réflexion plus approfondie sur nos critères normatifs en termes de réseaux de gouvernance. Quels sont les critères sur lesquels nous pouvons nous baser pour tirer les enseignements de la situation de crise actuelle pour les relations transfrontalières ? Il est fréquent que les réseaux de gouvernance soient analysés et évalués en vue de leur efficacité et de leur efficience ou encore en fonction du degré de participation qu'ils permettent d'atteindre. Il me semble que pour le cas d'une gouvernance transfrontalière post-corona, une analyse sous le signe de la résilience pourrait s'avérer porteuse. En effet il est probable que des crises d'une ampleur comparable pourraient se présenter dans le futur et que des tracés de frontière que l'on pensait appartenir au passé se manifestent à nouveau. Afin de parer à un repli sur la sphère nationale qui interviendrait tel un réflexe, il serait opportun de construire des réseaux efficaces, concertés et éprouvés qui soient en mesure de penser et d'agir en dépassant les frontières, même en mode gestion de crise. Ceci vaut en particulier sur le fond de rapports divergents entre acteurs communaux, régionaux et nationaux.

En outre les délimitations discursives abordées ci-dessus entre le "nous" et "les autres" portent très clairement une lumière peu flatteuse sur le mode de pensée encore prépondérant dans de larges parties de la population, qui consiste à penser en catégories nationales - et ce également en Sarre, qui d'habitude se flatte volontiers de sa proximité culturelle, gastronomique et économique avec la France. Cet aspect pourrait lui aussi, sur le fond de la Stratégie France, permettre de tirer des enseignements portant à un approfondissement des liens réciproques transfrontaliers. En regardant de l'autre côté de la frontière, l'image prépondérante est en particulier celle d'une population frontalière française représentant une source de main-d'œuvre précieuse pour les entreprises sarroises, ce que souligne également la Stratégie France. Toutefois cette perspective économique ne semble pas suffisante pour promouvoir à elle seule l'émergence d'une communauté solidaire régionale et transfrontalière dont les membres agiraient en tant que partenaires, même dans des périodes difficiles. La Stratégie France se limite elle aussi en premier lieu à prendre en compte des arguments correspondant à des intérêts économiques régionaux, alors qu'un élargissement de cette même stratégie serait tout à fait envisageable et discutable, en intégrant des objectifs visant une communauté solidaire stable. Les acteurs qui vivent dans le quotidien et au sein des régions ce partenariat franco-allemand et souhaitent le renforcer, tout en ayant les capacités nécessaires, sont nombreux, comme il s'est clairement avéré durant la crise.

Il est donc possible de constater actuellement une mobilisation croissante de réseaux régionaux, en partie transfrontaliers, souhaitant, dans le cadre de leurs capacités et de leur zone d'influence, s'opposer au repli sur la sphère nationale, en s'appuyant entre autres sur la solide amitié franco-allemande au cœur de l'Europe. Les actions symboliques et pratiques s'associent à cette fin; ainsi l'accueil de patients français dans les services d'urgence décharge les hôpitaux dans le Grand Est, en même temps il revêt une portée symbolique importante, compte tenu de la confiance actuellement ébranlée concernant la robustesse effective du partenariat franco-allemand.
 

Nora Crossey, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre


Références

Landesregierung des Saarlandes. (2014). Eckpunkte einer Frankreichstrategie für das Saarland / Gouvernement de la Sarre. (2014). Éléments d'une stratégie France pour la Sarre. Consulté le 23 avril 2019.

„Bouillon verteidigt Grenzschließungen“ (6. April 2020). Saarländischer Rundfunk / "Bouillon défend les fermetures de frontières, 6 avril 2020. Radio sarroise.

„Saar-SPD: Landtag soll in Krise mehr kontrollieren“ (6. April 2020). Saarbrücker Zeitung. / "Le SPD sarrois affirme: le parlement régional devrait contrôler davantage en temps de crise", 6 avril 2020. Saarbrücker Zeitung.

„Wie Innenminister Bouillon im Saarland an seine Grenzen stößt“ (6. April 2020). Saarbrücker Zeitung.  / Le ministre de l'intérieur Bouillon atteint ses limites en Sarre, 6 avril 2020. Saarbrücker Zeitung.
 

 

Texte disponible en allemand

La frontière « nationale » brouillée par le Covid-19  (G. Hamez, F. Morel-Doridat, K. Oudina, M. Le Calvez, M. Boquet, N. Dorkel, N. Greiner, S. de Pindray d'Ambelle, Université de Lorraine), 07/04/20

L’épidémie de Covid-19, apparue en décembre 2019 en Chine, s’est rapidement répandue à l’échelle mondiale. La plupart des dirigeants politiques ont réagi en décidant de fermer les frontières de leur pays pour se protéger du virus.Ces réactions nationales sont riches d’enseignement sur le rôle et les fonctions des frontières dans le monde globalisé contemporain. En effet, comme le virus se singularise par une forte contagiosité et que le mode de transmission se fait entre êtres humains, la vitesse de propagation du virus à l’échelle mondiale informe sur les interactions à travers les frontières. En réponse, l’omniprésence de la frontière dans la rhétorique des chefs d’État et de gouvernement renseigne sur l’idéologie et la symbolique dont sont toujours porteuses les frontières. La pandémie constitue un moment opportun pour comprendre le rôle ambivalent des frontières nationales.


Les frontières sont des cloisons

Les modalités de propagation du coronavirus se font préférentiellement à l’intérieur d’un même pays. L’épidémie est restée longtemps circonscrite à la Chine, même à la province de Hubei où les premiers cas ont été détectés. Ce n’est que le 20 janvier qu’un premier cas est détecté hors de Chine, en Corée du Sud (une touriste chinoise).

Quand de premiers cas surviennent dans un pays, le virus se propage rapidement à l’échelle de tout ce pays. Le cas italien en est une bonne illustration : suite à l’identification d’un premier foyer, un cordon sanitaire a été tracé autour de 11 communes le 24 février, avant d’être rapidement étendu aux régions concernées d’Italie du Nord, puis enfin à tout le pays à compter du 10 mars.

De fait, les circulations et les mobilités s’opèrent toujours préférentiellement à l’échelle d’un même pays. En tant qu’enveloppe extérieure d’un État, la frontière délimite des espaces homogènes, avec une organisation singulière touchant tous les domaines de la vie. La circulation du virus s’opère sans surprise prioritairement à l’intérieur de ces enveloppes. Si l’on considère un État comme un appartement situé dans un immeuble, la diffusion s’opère d’abord entre toutes les pièces de l’appartement.


Les frontières sont poreuses

La diffusion peut aussi gagner les autres appartements. Si l’origine des « patients 0 » n’est pas encore parfaitement établie dans chaque pays, un vecteur identifié est celui de voyageurs provenant des zones infectées (les premiers cas en France et en Italie sont des touristes chinois. Il s’agit d’une ultime manifestation de ce que l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie nomme « l’unification microbienne du monde », en cours depuis un millier d’années mais dont la vitesse de propagation est à présent extrêmement rapide à travers les frontières.

La diffusion prend toute son ampleur à l’occasion des moments de contacts collectifs, comme les rassemblements religieux.
C’est le cas en Corée du Sud, avec l’Église chrétienne Shincheonji de Jésus, dans laquelle un premier cas a été diagnostiqué le 10 février avant de s’étendre à de nombreux membres ; aux États-Unis, où un des clusters se trouve depuis février au sein de la communauté des Juifs orthodoxes de Young Israel, dans le comté de Westchester, près de New York ; en Malaisie, suite au rassemblement islamique de 20 000 personnes fin février, regroupant Malais mais aussi Bangladais, Philippins, Singapouriens et Thaïlandais ; en France enfin, où le rassemblement de l’Église évangélique La Porte Ouverte à Mulhouse, regroupant plus de 2 000 personnes du 17 au 21 février, a été à l’origine d’une diffusion à toute la France ainsi qu’aux pays limitrophes (Suisse, Allemagne et Belgique). 

Les religions transcendent les frontières et les fidèles les traversent. Bien d’autres cas de diffusion virale liée à la religion se retrouvent dans l’histoire, par exemple l’épidémie de choléra à partir des Lieux saints de l’islam à La Mecque en 1865. La mobilité à travers les frontières peut se faire pour bien d’autres motifs que la religion, mais les rassemblements religieux présentent la spécificité d’une proximité physique entre les fidèles, propice à la transmission de virus, ainsi que de réunir des masses.

Outre le tourisme et les rassemblements religieux, d’autres foyers de propagation de l’épidémie de part et d’autre des frontières sont les rassemblements sportifs, mais aussi les événements politiques.

L’un des premiers foyers de contamination en France est l’Assemblée nationale, aujourd’hui reconnue comme l’un des nouveaux « clusters » du virus. Des cas de personnes infectées dans l’entourage proche de Jair Bolsonaro au Brésil ou de Donald Trump aux États-Unis dès le début de l’internationalisation de l’épidémie sont aussi à signaler, ainsi que l’infection de personnalités européennes de premier plan comme Michel Barnier ou Boris Johnson. Mobilité internationale, multiplicité des rencontres avec des délégations politiques, réunions dans des environnements confinés, sans compter les bains de foule dans le cadre des campagnes électorales : paradoxalement, la classe politique est l’un des principaux vecteurs de transmission du virus.


La frontière véhicule fantasmes et illusions

La porosité des frontières est un fait. De nombreux dirigeants politiques ont réagi à la propagation du coronavirus en accusant un ou plusieurs pays, et en décidant unilatéralement de fermer leurs frontières. En reprenant la comparaison avec les frontières séparant les appartements d’un même immeuble, il s’agirait de la désignation d’un bouc émissaire parmi les occupants.
Chronologiquement, la Chine a d’abord été mise à l’encan. L’Italie comme les États-Unis, la Russie et le Japon ont été parmi les premiers pays à refuser toute entrée de voyageurs venant de Chine – ceci avec une efficacité toute limitée puisque de premiers cas avaient déjà été identifiés sur les territoires de ces pays.

Idéologie, calcul politique et pragmatisme amènent les dirigeants à décider de fermer certaines frontières, mais pas toutes. Donald Trump a décidé d’interdire l’entrée aux États-Unis des voyageurs provenant de l’espace Schengen, de façon effective à compter du 14 mars 2020 – mais en excluant le Royaume-Uni et l’Irlande, bien que ces deux pays comptaient déjà eux aussi de nombreux cas de virus sur leur sol.

Le président américain expliquait ce choix de stigmatiser l’espace Schengen par le laxisme de ses dirigeants, en termes d’absence de restriction aux arrivées en provenance de Chine. Il devait revenir sur ce choix idéologique trois jours plus tard, en ajoutant la frontière britannique à la liste des frontières fermées.

Au sein même de l’espace Schengen, des méfiances et dissensions ont vu le jour. Quand la Slovaquie décide le 12 mars de fermer ses frontières avec tous les pays, elle fait une exception notable pour la Pologne, au motif que la Pologne compterait relativement peu de cas de personnes infectées, mais probablement aussi au regard des relations économiques fortes qui réunissent les deux pays.
Pendant le mois de mars dans le monde mais aussi dans l’Union européenne, c’est un « sauve-qui-peut » général où, malgré l’évidence de la circulation transfrontalière du virus, les pays réagissent en ordre dispersé et sans concertation. Pour reprendre notre analogie, que fait le syndic de copropriété ? Et l’assemblée générale des propriétaires ?


Coopération sanitaire, une nouvelle frontière pour l’UE ?

Dans le cadre communautaire européen, l’assemblée générale des propriétaires serait le conseil européen qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des 27 États membres, et le syndic serait la Commission européenne – analogie un peu grossière au regard de la complexité de la gouvernance communautaire, mais utile ici pour son pouvoir évocateur. Les occupants de l’immeuble ont d’abord réagi en se barricadant ; puis ils ont convoqué une première assemblée générale (conseil européen le 10 mars 2020), une deuxième (le 17 mars), une troisième et ainsi de suite au cours de chaque semaine, où les décisions unilatérales sont progressivement rediscutées en commun, et des décisions collectives sont prises (fermeture de la frontière de l’espace Schengen, annoncée le 17 mars 2020 ; quant au syndic, il suit mollement le mouvement, en rappelant que la question ne relève pas de sa compétence dans l’état actuel des traités.

Pour comprendre la difficulté d’élaborer une action coordonnée entre les États membres, et au-delà du fait que le domaine de la santé ne fait pas partie des compétences communautaires, il est utile d’examiner le rôle exercé par les frontières nationales. Les frontières sont des cloisons en termes d’organisation territoriale, de modes d’action et de temporalités.

Organisation territoriale : par exemple entre un pays centralisé comme la France, où le confinement s’impose du jour au lendemain de façon équivalente sur l’ensemble du territoire national, et un pays fédéral comme l’Allemagne où chaque région (Land) adopte ses mesures propres de confinement. Modes d’action : par exemple entre un pays où le confinement est appliqué fermement comme la Belgique (application dès le 18 mars), et un pays où ce n’est pas le cas comme les Pays-Bas (au 26 mars, toujours pas de confinement obligatoire, le gouvernement néerlandais misant sur la stratégie de l’immunité de masse). Temporalités : la vitesse de propagation du virus et la répercussion des différentes mesures adoptées ne se font pas suivant le même rythme entre les pays.

En conséquence, les populations résidant près des frontières font l’expérience au quotidien de ce multiple cloisonnement, qui ouvre contraintes et opportunités. Le Grand Est français a dans un premier temps été ostracisé par les Länder voisins de Sarre et du Bade-Wurtemberg, qui ont fermé la frontière terrestre aux flux de population le 11 mars, déstabilisant un tissu socio-économique local transfrontalier riche d’interrelations – alors que paradoxalement, les flux de population vers l’Allemagne restaient possibles depuis les autres régions françaises ; dix jours plus tard, ces Länder allemands ainsi que le Luxembourg voisin, ouvraient leurs hôpitaux aux malades du Grand Est.

Le contexte pandémique donne à voir les frontières dans la multiplicité de leurs manifestations : lignes de cloisonnement, espaces d’interaction, points d’expression du pouvoir et de tension géopolitique. Les décisions de « fermeture des frontières » ont eu une portée davantage symbolique que réelle, au regard la propagation du virus. Au-delà des réactions épidermiques envers les frontières, le véritable enjeu demeure le manque de coordination sanitaire internationale, ainsi que l’acceptation des différences dont sont porteuses les frontières pour imaginer de nouvelles formes de mise en relation.


Cet article a été publié en premier lieu sur The Conversation.  


Grégory Hamez, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine 
Frédérique Morel-Doridat, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
Kheira Oudina, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
Marine Le Calvez, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
Mathias Boquet, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
Nicolas Dorkel, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine
Nicolas Greiner, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine 
Sabrina de Pindray d'Ambelle, UniGR-Center for Border Studies, Université de Lorraine 

Réflexions sur une créature sans limites dans un monde de frontière (Rebekka Kanesu, Université de Trèves), 06/04/20

Texte disponible en anglais

Rebekka Kanesu, UniGR-Center for Border Studies, Université de Trèves 

Le coronavirus et l'érosion des certitudes (Florian Weber, Université de la Sarre), 06/04/20

Texte disponible en allemand.

Florian Weber, UniGR-Center for Border Studies, Université de la Sarre 

Les frontières au temps du Covid-19 (Christian Wille, Université du Luxembourg), 03/04/20

Texte disponible en allemand et en anglais.

Christian Wille, UniGR-Center for Border Studies, Université du Luxembourg