L’intérim transfrontalier : les marges de l’emploi aux marges des territoires

L’intérim transfrontalier : les marges de l’emploi aux marges des territoires

Focus spatial
Grande Région, SaarLorLux
Langue(s)
Français
Introduction

Cet article s’intéresse aux pratiques liées au travail intérimaire transfrontalier, une forme de travail frontalier mettant en relation trois acteurs (un travailleur, une agence d’intérim et une entreprise utilisatrice) séparés par une ou plusieurs frontières.

Résumé

Au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux, le développement du travail frontalier s’est accompagné d’une diversification de ses formes, comme l’intérim transfrontalier. Les entreprises de travail temporaire se sont imposées comme de nouveaux intermédiaires de l’emploi au sein de cet espace transfrontalier, favorisant le développement de formes particulières d’emploi et tirant avantage des différences de législations sociales et fiscales entre pays tout en contribuant à la sélection de la main-d’œuvre frontalière.

Contenu

Cet article est issu d’une communication aux XIVème Journées internationales de Sociologie du Travail (JIST) qui se sont tenues à Lille le 17, 18 et 19 juin 2014 sur le thème des marges de l’emploi et du travail. Il est le résultat d’un long travail de recherches universitaires entre deux chercheurs des Universités de Luxembourg et de Lorraine (Isabelle Pigeron-Piroth et Rachid Belkacem). Le papier s’appuie sur les résultats théoriques d’une thèse de doctorat en Science Economique de Rachid Belkacem soutenue à Paris1 en janvier 1997. Cette thèse a été publiée chez l’Harmattan en mai 1998 sous le titre « Institutionnalisation du travail intérimaire en France et en Allemagne : une étude empirique et théorique », dans la collection « Logiques économiques ».

Dans cet article, l’intérim transfrontalier est défini comme une forme d’emploi en marge de la norme de l’emploi permanent. Il met en relation trois acteurs séparés par une ou plusieurs frontières (le travailleur, l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice). Ce papier questionne les pratiques liées à cette forme particulière de travail. La démonstration s’appuie sur les résultats de deux recherches contractuelles. En 2006-2007, la première recherche a concerné le rôle des agences d’intérim dans la régulation du marché du travail transfrontalier (programme EURES 2006-2007). En 2014-2015, la seconde recherche a porté sur les pratiques de détachements de travailleurs en Union Européenne, leur importance, leurs formes et les enjeux de l’intérim transfrontalier particulièrement au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux (programme de recherche dans le cadre de l’agence d’objectifs FO-IRES - n° 2014-03, Paris).

L’article est structuré en trois parties. Il commence par définir l’objet ainsi que le cadre théorique de l’analyse, en s’appuyant sur les travaux portant sur l’intérim. Dans une seconde partie, il analyse son développement en regard du contexte spécifique de la Grande Région Saar-Lor-Lux. Enfin dans une troisième partie, il analyse les pratiques liées au processus de mobilisation et de mise à disposition de ces travailleurs auprès des entreprises utilisatrices au sein de cet espace transfrontalier.

Conclusions

Le principal résultat de cet article est d’avoir mis en lumière les caractéristiques socioéconomiques d’une forme méconnue de travail frontalier qui est en plein essor. L’article montre comment le développement de l’intérim transfrontalier a été permis par trois principaux processus. Le premier concerne le contexte géographique spécifique à travers des dynamiques de développement économique et social contrastées de part et d’autre des frontières. Le second processus est en relation avec l’émergence de nouvelles pratiques d’acteurs de gestion de la main-d’œuvre. Enfin, le troisième et dernier processus caractérise la normalisation juridique de ces pratiques à travers la définition de règles juridiques et d’accords bilatéraux entre pays. Ceux-ci ont favorisé un contexte de libre circulation des travailleurs au sein de l’espace européen. En opérant ainsi un drainage du marché du travail transfrontalier, les agences d’intérim se sont imposées comme de nouveaux intermédiaires de l’emploi aux fonctions de gestion territoriale de la main-d’œuvre. Elles assurent en effet les fonctions classiques de tri et de sélection des travailleurs frontaliers selon les besoins quantitatifs et qualitatifs des entreprises utilisatrices situées de part et d’autre des frontières. Elles apportent ainsi des solutions aux problématiques classiques de gestion de la main-d’œuvre (absence de salariés, flexibilité du travail, pré-recrutement, etc.). Dans ce contexte de besoin en qualifications et en main-d’œuvre dans certains territoires (au Luxembourg), et d’excédents dans d’autres (en Lorraine), elles participent à la régulation du marché du travail transfrontalier. Mais elles assurent aussi des fonctions très singulières du fait de l’existence d’importants différentiels dans les législations sociales et fiscales entre pays. Elles favorisent en effet une gestion des coûts du travail à travers notamment les opérations de détachement des travailleurs. Par ce système, les entreprises utilisatrices peuvent bénéficier de coûts salariaux comparativement plus faibles et utilisent le travail intérimaire transfrontalier de manière opportuniste par le biais du détachement. Le cas du Lorrain qui s’inscrit dans une agence d’Intérim au Luxembourg et qui est envoyé en mission en Lorraine en est un exemple. Néanmoins, ces pratiques de détachement sont plus encadrées ces dernières années, depuis la modification de la règlementation européenne en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale ((CE) 883/2004).

Messages clés

Cet article éclaire le développement rapide de l’intérim transfrontalier, une forme méconnue du travail frontalier. Il livre des enseignements utiles sur les inflexions à venir du marché du travail transfrontalier. En participant à la régulation du marché du travail transfrontalier, les entreprises de travail temporaire ont développé de nouvelles fonctions de gestion territoriale de la main-d’œuvre frontalière. Cet article nourrit ainsi le débat actuel sur les enjeux des détachements de travailleurs en Europe. Il montre que ce sont bien les différences de dynamiques, territoriales, économiques, sociales et institutionnelles qui nourrissent de nouvelles pratiques d’acteurs de gestion de la main-d’œuvre frontalière.

Pilotage

Université de Lorraine et Université de Luxembourg

Auteur de la note
Contributions

Rachid - Belkacem Université de Lorraine

Isabelle Pigeron-Piroth - Université du Luxembourg

Personne de contact

Rachid Belkacem

Fonction
Maitre de conférences
Organisation
Université de Lorraine, France
Date de création
2018
Date
Publié dans
Revue Française de Socio-Économie, 2016, Vol.n 17(2), pp.43-63
Identifiant

DOI: 10.3917/rfse.017.0043

ISSN:1966-6608

E-ISSN:2104-3833